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Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

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Article publié

note de lecture

COMMUN

Essai sur la révolution au XXI° siècle

mercredi 8 octobre 2014

Le groupe girondin du Christianisme Social continue son travail autour de la démocratie, de la crise de la représentation politique, des alternatives possibles. Patrick Rödel propose donc une nouvelle note de lecture.
Cette fois de "COMMUN -Essai sur la révolution au XXIème siècle" de Pierre Dardot et Christian Laval, éd. La Découverte.
Il n’est pas question de résumer ce texte de près de 600 pages, passionnant de bout en bout, souvent technique, qui fourmille d’analyses et d’idées extrêmement stimulantes. Tout au plus d’en dégager quelques aspects qui m’ont paru essentiels et qui peuvent être utiles dans les combats qui nous attendent pour sortir du marécage où nous nous enfonçons, occupés à des conflits d’un autre monde sans voir les dangers de mort que nous courons (l’image est de Michel Serres, commentant une gravure de Goya).

L’idée même de révolution semble avoir disparu de nos esprits. On nous a assez répété qu’il n’y avait pas d’autre alternative au paradis néo-libéral où se réjouissaient d’être parvenus sans concurrence repérable, depuis 1989, les puissances occidentales au service de la finance internationale, que toute tentative pour y échapper nous entraînerait tout droit, par le biais de la Terreur, dans des régimes totalitaires, que nous avons fini par le croire. Dans cette destruction de toute idée de progrès, dans cette image caricaturale de la Révolution française et surtout de la Révolution montagnarde, des gens comme François Furet, comme ceux qu’on a appelés les nouveaux philosophes ont joué un rôle éminent - et certains d’entre eux continuent.¨

Un des mérites essentiels de Dardot et Laval est de redonner un contenu à cette idée et d’esquisser les voies qu’il faudrait suivre pour faire advenir un autre type de société, au plan national comme au plan mondial. Il faut pour ce faire, relire l’histoire des siècles derniers afin de comprendre quelles erreurs, théoriques et pratiques, ont été commises, quelle est la raison profonde de nos aveuglements et de nos incapacités à envisager d’autres solutions que celles qui jusqu’à présent ont échoué.

Le noeud essentiel du problème pour nos deux auteurs est que nous ne sommes jamais sortis de la conviction que le droit à la propriété était le propre de l’homme, qu’il était inscrit dans sa nature même - qu’il se traduise par le droit du plus fort (c’est le système que nous connaissons) ou qu’il devienne le droit de la collectivité (c’est la solution marxiste et léniniste) - ce droit n’est pas remis en question. Or, c’est là qu’il faut porter le fer : substituer un droit d’usage au droit de propriété, le faire émerger à partir des actions communes entreprises par ceux qui s’opposent à l’appropriation par quelques oligarques des ressources nécessaires à la vie des populations concernées (exemple : la lutte pour l’eau, dans des pays d’Amérique du sud, ou, ici, en Europe, en Italie et à Naples, plus spécialement ; mais on peut trouver des combats à mener au niveau d’un quartier, pour des questions de logement ou d’urbanisme, au niveau d’une région, pour préserver une forêt ou contester l’intérêt de la LGV, par exemple).

Cette notion de commun est centrale, mais il faut en construire soigneusement le concept pour se démarquer des usages anciens qui en ont été faits et qui péchaient par leur manque de radicalité. Ce à quoi le livre de Dardot et Laval s’emploie. L’histoire en est ancienne, depuis les communes médiévales, depuis les réflexions théologiques sur les biens communs, depuis les luttes menées, en Angleterre et ailleurs, contre l’appropriation par les propriétaires terriens des ’enclosures’ qui permettaient aux paysans propres de faire paître leurs bêtes sur des herbages qui n’étaient pas enclos ou de ramasser du bois dans les forêts domaniales jusqu’aux revendications des théoriciens du communisme. Il faut se démarquer de toutes ces expériences qui rêvent d’un retour à une sorte d’état primitif où tout appartient à tous, ou de revenir à un en-deça de l’opposition entre le privé et le public, ou de confier à un Etat tout-puissant le seul droit de propriété etc..., pour cerner le plus exactement possible les contours de ce nouveau concept : le commun naît de l’agir commun et des normes qui en permettent l’exécution et en favorisent l’institutionnalisation. L’intérêt de cette notion est qu’elle met l’accent sur le processus d’institutionnalisation, processus que l’on ne peut arrêter, alors que tous les pouvoirs, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne pensent qu’à perpétuer l’ordre institué - en ce sens, ils sont tous aussi conservateurs les uns que les autres et n’ont d’autre obsession que de refouler le fait même de leur institution.

Il ne suffit pas de s’indigner, même si l’appel à s’indigner a pour fonction de réveiller un public assoupi, anesthésié, chloroformé par les discours dominants. Il faut savoir où porter le fer et multiplier les expériences où les hommes prennent, en commun, les décisions qui ont trait à leurs intérêts communs au lieu de s’en laisser déposséder par une minorité.

Il faut aussi retrouver les analyses ou les intuitions d’un certain nombre d’auteurs que la position longtemps hégémonique de la pensée marxiste ( dans sa version appauvrie soviétique) avait condamné à l’oubli. En particulier, Proudhon qui, le premier, a mis en lumière la force créatrice du travail collectif et cherché dans les coopératives un moyen d’échapper à l’asservissement de cette force aux intérêts de quelques uns. L’hypothèse d’un homme par nature égoïste et uniquement préoccupé de son enrichissement personnel, si elle vise à justifier l’ordre libéral, laisse de côté les véritables richesses qui naissent de la coopération. Il y a, pour qui fut marxiste, un aspect paradoxal à ce retour à Proudhon tant il semblait acquis que Marx avait remporté la victoire aux points. Mais c’est sans réfléchir à ce que fut la Commune de Paris (événement historiquement primordial) : un essai pour mettre en pratique l’enseignement de Proudhon bien plus que celui de Marx, qui s’obstina un temps à dire aux Communards qu’ils ne faisaient rien de ce qu’il fallait faire (s’emparer de la machine d’Etat) et qu’il avait, lui Marx, théorisé, avant de reconnaître qu’ils tentaient là une expérience tout à fait nouvelle et riche de promesses (la commune elle-même, la fédération des communes...) D’autres références, à Mauss, à Sartre, à Antonio Negri, à Castoriadis autour de la question centrale à laquelle chacun a tenté de répondre : comment quelque chose de radicalement nouveau peut-il apparaître ? Comment quelque chose de radicalement nouveau apparaît-il en vérité, ici maintenant, dans des luttes dont nous ne saisissons pas toujours la portée et que s’y dessinent des voies que nous aurions tout intérêt à méditer et à emprunter ?

Dardot et Laval prennent le risque de s’aventurer là où généralement on n’attend pas les théoriciens : dans la définition d’un certain nombre de gestes politiques à poser, c’est-à-dire d’actions politiques à entreprendre :
 il faut construire une politique du commun
 il faut opposer le droit d’usage à la propriété
 le commun est le principe de l’émancipation du travail
 il faut instituer l’entreprise commune
 l’association dans l’économie doit préparer la société du commun
 le commun doit fonder la démocratie sociale
 les services publics doivent devenir des institutions du commun
 il faut instituer les communs mondiaux
 il faut instituer une fédération des communs

Il ressort de ce livre que la révolution est possible, "elle est ce moment d’accélération, d’intensification et de collectivisation de cette activité consciente que nous avons désignée du nom de ’praxis instituante’. Elle est, plus précisément encore, le moment où la praxis instituante devient institution de la société par elle-même ou ’auto-institution’."(p.575) Oui, un autre monde est possible. Oui, un autre monde est nécessaire. La révolution ou la mort.


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