Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche
Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

Accueil > Egalité femmes hommes : réalité ou utopie ?

Article publié

Egalité femmes hommes : réalité ou utopie ?

ENVOI par Philippe Kabongo Mbaya

jeudi 10 novembre 2022, par :

Durant cette session, nous avons été assez discrètement accompagnés par un mot ; un mot que nous avons pu entendre d’abord dans sa première signification, celle d’identification. Mais, il veut dire aussi la gratitude. RECONNAISSANCE, donc ! Que je dise ainsi notre reconnaissance à vous tous et toutes, qui venez régulièrement à cette journée du Christianisme social qu’organise depuis 11 ans sa Commune théologique du Sud-parisien. Merci au professeur François Vouga, d’en assurer fidèlement l’animation biblique, permettant que contributions et échanges fassent sens dans le sillage de l’intelligence des Écritures. Merci à l’équipe qui a préparé cette rencontre. Car le choix du sujet, son organisation et l’articulation des approches, des thématiques, n’ont pas été une sinécure. Loin de là…

C’est pourquoi, au moment où nous concluons cette rencontre, on peut légitimement avoir un sentiment de satisfaction et de reconnaissance.
Les quelques remarques que je voudrais faire à présent n’ont pas une ambition particulière. Elles ne sont ni un résumé de différentes contributions, ni une conclusion mettant en relief un point saillant, qui éclairerait l’ensemble de nos travaux. Non seulement je me sens assez incapable de proposer pareil point focal, mais j’ai pensé surtout pouvoir procéder différemment. Peut-être subjectivement, tout simplement. Mais pas arbitrairement.
En retenant les trois termes qui forment le titre de cet envoi dans le programme, je pressentais qu’il était possible de comprendre certains moments des interventions sous l’éclairage des notions suivantes :

Identité
François Vouga, dans la première étude biblique, a insisté sur « identité et réciprocité ». Paul aurait pu se contenter de saluer, anonymement, ses « frères et sœurs » au chap. 16,1-16 de la Lettre aux Romains. Il les nomme selon « leurs titres et qualités » ! La dramatique du parcours de vie de Martha Desrumaux nous a secoués comme une construction intense du destin personnel et collectif. Merci à François Müntzer. Pour sa part, Renée Piettre a évoqué la question centrale de la sexuation, biologique ou symbolique. Pointant sans s’y attarder la controverse brûlante de la différenciation. Ces thèmes et situations ne sont pas simplement illustratifs pour la problématique de l’identité ; ils sont au cœur de ce sujet.
On considère habituellement l’identité comme un don et non comme un dû. C’est un aspect majeur dans toute économie de l’héritage. Nous ne nous nommons pas nous-mêmes en venant au monde. Nous portons des patronymes ou de noms de lignages de ceux et celles qui nous ont précédés dans l’existence. Cependant le don reste ce que l’on reçoit. Sa réception est donc un geste actif. Il y a de choses que l’on ne peut recevoir par procuration. Comment éviter des « identités » d’endettement ? Comment échapper à une identité cornaquée par un destin insupportable ? De quelle manière suis-je connu ou reconnu ? Quelle origine puis-je faire valoir si je ne veux pas être victime d’une « identité contentieuse », préambule à une possible « citation » meurtrière ? Reconnaissance et réciprocité ne désarment pas toujours le conflit. En l’occurrence, il faut montrer comment cela joue quant aux sexes et vis-à-vis du genre. Pierre Bourdieu disait : la vérité est au front. Est-il superfétatoire de le croire pour ce qui concerne l’identité en ce domaine ? Devant ce que d’aucuns considèrent désormais comme une « guerre de sexes », cette manière de voir ressemble à des « identifications » des fiefs à protéger, des territoires à prendre. Que ces « espaces » soient mouvants, aux contours « liquides » (Zygmun Bauman, Edouard Glissant), le mot de Daniel Sibony vient à point nommé le rappeler : « La guerre des origines est à l’origine de toutes les guerres ».
Ce que font Ritspa et David des restes des « leurs » (2 Sam. 21, 8-14), pourtant dûment sacrifiés par intérêt général, laisse apercevoir une possible signification de ces scènes horriblement macabres. Les ossements récupérés sont décidément une trace. À l’embrouillamini des effacements des « autres », à leur extermination, une traçabilité résiste. C’est elle, tel un ADN, qui permet la « réhabilitation » des victimes, puisque leurs restes seront « dûment » ensevelis. Dans ce récit que Dominique Hernandez a commenté, Ritspa me parait être une « médiatrice d’identité », et les sépultures des « tabernacles de mémoire ». Le défaut de ces gestes aurait figé l’oubli en une posture idéologique.

Idéologie
Par bien des côtés, le combat des minorités prend souvent la forme d’une lutte idéologique, y compris dans sa structuration théorique très pointue. Bernard Piettre l’a très bien montré dans l’écart entre la pensée de Simone De Beauvoir et celle de Judith Butler. L’idéologique : c’est lorsque la critique d’une idée reçue devient à son tour une idée reçue (Gabriel Vahanian). S’interrompant, Bernard Piettre a dit : au fond, que défend Judith Butler ? L’illustration est là : ces thèses marxistes, très percutantes, s’agissant de Hegel, devenues presque caricaturales. Au programme consistant à changer le monde, plutôt que de l’interpréter, on a substitué l’interprétation bien élaborée des sociétés humaines, avant d’espérer enfin pouvoir les changer. C’est une leçon que nous voyons dans 1 Timothée 2, 11-15, au regard de la position initiale de 1 Cor. 11, 4-5, comme F. Vouga y a insisté : constat d’une « dérive », un siècle après, qui marque un milieu paulinien dans le sens de recul, ou de retournement.
Quand la pensée de subversion, celle qui interroge et apporte la nouveauté, devient le véhicule intraitable du statu quo, pour défendre ou protéger des acquis, le défi à relever est celui du débat. La capacité à relancer le questionnement. Non pas nécessairement pour contester l’ancien conservatisme ni pour récuser le nouveau, mais pour penser, et faire en sorte que les questions demeurent ouvertes. La confiance (la foi) ne consiste pas à trouver des réponses définitives aux questions essentielles auxquelles les humains sont confrontés, mais à accepter que ces questions ne soient pas « fermées » ou ne se referment pas. Cela, pour vivre d’un courage qui porte à les affronter sans relâche.
Un exemple, puisque cela a été noté : que faire afin que l’égalité ne se vide pas de sa substance : la plainte vivace qui réclame l’équité ? La tradition et la théologie protestantes se méfient du droit naturel et trouvent dans la discontinuité le moyen d’accueillir et d’honorer la nouveauté, un visage de l’altérité. Sur le sujet qui nous a occupés, il me semble que le défi n’est pas le principe d’égalité, mais le danger de l’indifférenciation . En même temps, les théories critiques dans ce domaine, témoignent à leur manière d’une indocilité qui peut être salutaire. La marque d’un courage, qui se donne comme une ambition en faveur de quelque chose d’autre. Mais pour quelle justice ?

Justice
Dans la vie comme dans la mort, la discrimination infligée aux femmes, jusqu’au traitement inhumain de leurs corps dans les tombes, décrit avec éloquence l’empire d’une injustice anthropologique. Sylvette Barreau a évoqué les preuves archéologiques de cette discrimination post-mortem, à la fois par le genre, par les positions ou par les rangs sociaux. Le « plafond de verre » frappe les femmes, mais aussi les Noirs, les Basanés, dans la vie comme dans la mort . Sous cette condition, la femme noire reste le signe de cette triple peine !
S’agissant de justice, la critique du capitalisme patriarcal adressée par les féministes marxistes au marxisme de Marx, ainsi que Jean-Marc Lamarre nous l’a si remarquablement présenté, a mis le doigt sur l’injustice fondamentale qui est au cœur même d’une recherche de justice ! La non-reconnaissance du travail domestique , condition de possibilité du travail capitaliste ; la tache aveugle occultant le système de reproduction sociale, ou familiale (le care), sans lequel il n’y a pas de reproduction du système économique : c’est l’aporie qui consiste à vouloir abolir une logique d’injustice à l’échelle de la macroéconomie, tout en entretenant son impensé, son « impensable », comme nécessaire et pas seulement localement !
Que signifiaient les chasses aux sorcières, que l’on pourrait peut-être aujourd’hui essayer de comprendre dans toutes les cultures en dehors des théories des boucs émissaires ?
De nombreux exemples ont été mentionnés. Ils sont tous malheureusement en deçà de la réalité : pourquoi y a-t-il plus de dépouilles d’hommes au Panthéon que celles de femmes ? Quelle raison justifie les lenteurs et atermoiements concernant la panthéonisation de Martha Desrumaux ?
Par leur mode d’exécution, les Nazis ont, semble-t-il, réservé la pendaison aux hommes, et la décapitation aux femmes. Une inégalité entre la mort noble et celle, plus cruelle, donnant à voir la radicalité du châtiment ?
Au total, ce relevé reste forcément incomplet ; mais mon insatisfaction pourrait prendre la forme d’une hypothèse : n’aurions-nous pas bénéficié d’une plus grande richesse encore, si l’essentiel de contributions avait été apporté par les femmes elles-mêmes ?
C’est une question et presque un plaidoyer.


Un message, un commentaire ?
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Qui êtes-vous ?
  • [Se connecter]