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Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

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Article publié

Identité en crise : immigration, famille, éducation, sexualité.

lundi 4 octobre 2010, par :

Nous commençons la mise en ligne des comptes-rendus des ateliers du 3 octobre. Voilà le premier, introduit par Isabelle Grellier et Stéphane Lavignotte

Isabelle Grellier :

En quoi le christianisme social (CS) a-t-il quelque chose à dire sur ces réalités qui ne correspondent pas exactement au champ sur lequel on l’attend ? Avec la question de l’identité, on pourrait s’imaginer qu’on est dans le registre de l’individuel – alors que le souci du CS concernerait plus la dimension sociale. Mais justement, l’une des richesses du CS – par rapport au courant du Réveil dans le cadre duquel et en tension avec lequel il est né – c’est d’avoir souligné que nos identités individuelles sont très largement le résultat de la société dans laquelle nous vivons. Que nos façons de vivre la famille, l’éducation, la sexualité, la nationalité dépendent largement de catégories qui sont construites en fonction d’un système économique et politique.

Au cœur donc de cet atelier, la question de l’identité, une question qui se joue actuellement sur deux registres opposés :

 le mythe d’un individu roi, un individu autonome, délié de toute appartenance, libre de se construire ; je dis ‘mythe’ parce que bien évidemment la réalité est tout autre : nous restons profondément dépendant les uns des autres – et sans doute le sommes-nous même de plus en plus dans un monde de plus en plus complexe ; mais cette dépendance se joue en grande part par le biais du marché qui la voile.

Ce mythe a des effets sur la réalité : la valorisation de l’individu contribue encore un peu plus au délitement des solidarités naturelles – ce qui laisse finalement l’individu perdant, car s’il est « délivré de ses chaînes », il est aussi « privé de ses rôles, de ses places, de ses identités » (J.C. Guillebaud, La refondation du monde, Seuil 1999, p. 235)

 De l’autre côté, en réaction à ce modèle aussi faux qu’invivable, le retour des tribus (Maffesoli), des groupes cimentés par de l’émotion, construits par un processus d’identification qui donne naissance à un strict conformisme. Une façon de retrouver du collectif face à l’atomisation de la société, une façon aussi de s’assurer une identité sans avoir à la construire soi-même face à la difficulté à être soi-même. Mais ces identités collectives figées et emprisonnantes ne laissent plus de place à l’individu.

Etre ou ne pas être ? « Entre l’amour de soi jusqu’à l’éviction du reste et la volonté d’abolition de soi dans ses expressions les plus variées, entre l’absolu de l’être et l’être rien, peut-être n’aurons-nous plus jamais fini de balancer » dans la société du déclin de la religion. (Gauchet, Le désenchantement du monde, p.303).

La façon dont se présente aujourd’hui la question de l’identité concerne le CS qui s’est toujours efforcé de tenir ensemble – dans sa pensée comme dans sa pratique - les deux dimensions de l’individu et de la société : la catégorie de l’individu, qui doit tellement au christianisme – lequel invite chacun à se situer comme un sujet et à répondre personnellement à l’appel qui lui est adressé ; la dimension du collectif : avec la dimension de solidarité, mais aussi la conscience que l’individu est en grande part le résultat d’un système social. Pas de sujet sans relation, pas de sujet sans institution. Concrètement le CS a toujours été engagé dans une double tâche : travailler sur les structures – économiques, politiques ; mais aussi un travail d’accompagnement et de formation des personnes, pour les aider à échapper aux déterminismes sociaux, par l’éducation, la lutte contre l’alcoolisme, l’apprentissage de la parole personnelle et l’apprentissage de la solidarité ; cela a été en particulier le travail des fraternités et solidarités du CS.

Mais la question de l’identité est en lien étroit avec la question économique. Et cela nous concerne particulièrement ici : j’aime à me référer à Miguel Benasayag qui, dans Le mythe de l’individu (La Découverte, 1998) explique que le développement de l’individualisme moderne est une construction au service du capitalisme. Il montre que ce mythe de l’individu n’est en fait qu’une forme d’organisation sociale qui sous-tend un projet économique, le projet capitaliste. L’individu, dit-il, est « le principe indivisible et fondateur » du capitalisme (p.15). Car à valoriser ainsi l’idée d’un individu autonome – au lieu de le considérer comme membre d’une communauté -, on rend les individus plus dépendants du marché ; et on favorise une compréhension de l’humain comme consommateur, une compréhension fondée sur l’avoir plutôt que sur l’être et sur la relation. Le système capitaliste sait très bien utiliser le désir d’accomplissement des individus au profit du développement de la consommation. 

Stéphane Lavignotte :

En accélération depuis les années 60, les identités structurant la vie des personnes sont remises en cause : identités nationales, religieuses, famille, homme, femme, homo, hétéro, âge, handicap.
Cette évolution est en grande partie le résultat de la volonté de la société, des gens eux-mêmes qui ont secoué ce qu’ils considéraient comme des carcans trop étriqués.
En même temps, cet ébranlement des repères crée des peurs, engendrant notamment montée du racisme, des discriminations, violences sexistes et homophobes... Des nouvelles situations nées de ces évolutions sont laissées hors du droit et de l’égalité des droits comme la situation des couples de même sexe, les familles homoparentales, la participation politique des résidents étrangers...

Le texte biblique du Nouveau testament est d’un grand secours, et pour cause : il est née d’une période où aussi tout était dans chamboulé : familles, multiculturalisme, identités religieuses...

Il part dans trois directions :
 une relativisation radicale des identités qui s’effacent toutes dans l’identité en Christ. D’une certaine manière l’homme avec identité sociale était l’homme ancien, du péché, l’homme nouveau n’a plus d’identité. Ex. : Jésus relativise radicalement la famille biologique/traditionnelle quand il envoie balader sa mère et ses frères et déclare que sa famille se sont ses disciples réunis autour de lui. Paul pour qui « en Christ, il n’y a plus ni juif, ni grec, ni libre, ni esclave, ni hommes, ni femme ». Ricoeur a pu dire que le Christianisme et le stoïcisme était les premiers à appeler à une fraternité universelle par dessus les identités notamment nationales,

En même temps, les auteurs bibliques sont réalistes, ils savent que ces identités perdurent, et qu’à la limite on ne s’exprime qu’à travers elle, y compris pour exprimer leur dépassement. D’où deux autres directions pour vivre ces identités fortement relativisées mais qui perdurent :

 reprendre les appels de l’Ancien Testament à la justice au sein de la vie quotidienne au sein de ces identités. Même marqué par le sexisme de son temps, le Nouveau testament va dans le sens d’une plus grande justice pour les femmes dans la famille, par exemple en refusant la répudiation. Il reprend les appels de l’Ancien Testament à la justice et à l’intégration de la veuve, de l’orphelin, de l’étranger. Comme l’a écrit Ricoeur, ils illustrent « une première fois de façon exemplaire la pression exercée par l’amour sur la justice, pour que celle-ci attaque de front des pratiques d’exclusion qui sont peut-être la contrepartie de tout lien social fort1 ».
 Paul dans ses épitres appelle à prendre en compte la fragilité de ceux qui sont bousculés dans leurs identités, par exemple dans le fameux débat sur les viandes sacrifiées, à les prendre en compte dans une pédagogie fraternelle pour aller vers ce dépassement. Il prend également acte que les formes sociales comme le mariage, si elles ne sont que relatives, jouent un rôle pour les personnes et qu’il faut donc bien en faire quelque chose.

Isabelle Grellier :

Un petit ajout concernant cette 3ème affirmation pour dire combien, pour le NT, la fragilité est une richesse quand elle est acceptée comme telle. C’est en particulier la conviction de Paul : « ma grâce te suffit, car ma force s’accomplit dans la faiblesse … (2 Co 12). La fragilité reconnue incite à se tourner vers l’autre pour lui demander de l’aide, au lieu de s’enfermer dans l’illusion de l’autonomie.

Stéphane Lavignotte :

Je crois que ces trois directions pointent trois pistes d’engagement pour le Christianisme social dans les débats publics et la vie en société :

 Etre clair sur la nature sociale, construites, relatives de toutes les formes d’identité, y compris les identités dominantes que sont être un français, un blanc, un homme, un hétéro, etc. Et donc refuser tous les discours essentialistes, nationalistes, racistes, sexistes, homophobes...

 Un engagement sans faille pour la justice et l’égalité des droits y compris dans les églises pour les femmes, les étrangers, les personnes gays et lesbiennes, les personnes handicapées... Un engagement pour un accueil inclusif de tous dans les églises mais aussi dans la société.
nos pratiques dans nos lieux communautaires doivent savoir inventer et appeler la société à inventer, y compris en partant de choses que nous faisons déjà, pour relever ce défi de l’accueil de toutes les fragilités face aux évolutions des identités que nous vivons. Sans doute les questions de l’étranger, de la famille (notamment des couples et familles homosexuels)  sont les deux terrains, sur lesquels nous avons le plus grand rôle à jouer.

 Cela déploie tout un éventail de pratiques : de l’écoute et d’accompagnement fraternel, à l’invention de rituels d’accompagnement, d’accueil, de bénédiction pour les couples de même sexe, en passant par l’organisation d’occasion de rencontres pour découvrir la personne derrière l’étranger, l’homo, le beauf, le musulman etc. L’inter-religieux peut-il devenir une pratique de « rencontre fraternelle de masse » ?

Isabelle Grellier :

Un éventail de pratiques pour apprendre à découvrir les personnes derrière ces « catégories » de gens pas comme nous, donc pas comme il faut… l’étranger, l’homo, le beauf, le musulman etc.

Je prends l’exemple de l’étranger – derrière lequel il y a tellement d’enjeux, à l’échelle nationale et internationale. Les Eglises sont bien mieux placées qu’elles ne le pensent parfois pour être présentes dans les questions que pose l’accueil de l’étranger,

 d’une part à cause de cette tradition que Stéphane rappelait, qui les aide à penser la proximité avec l’étranger et à penser l’accueil (même s’il faut se méfier d’une tendance à trop privilégier la dimension ‘universalisante’ de la foi, qui tend à nier les différences ; il faut équilibrer le ‘il n’y a plus ni juif ni grec’ de Paul avec son ‘je me suis fait tout à tous’)

 d’autre part parce que beaucoup des étrangers qui frappent à la porte de la France ont un arrière plan religieux fort ; qu’il s’agisse du christianisme ou de l’Islam ou de religions orientales, il y a, dans cet intérêt religieux partagé, de quoi servir de support à la rencontre.

Concrètement : des lieux de rencontre où on apprend à se connaître = développer la dimension de l’interculturel et de l’inter-religieux, fête des cultures etc. mais aussi des lieux d’écoute où les personnes peuvent venir dire leurs peurs, sans se sentir jugés ; inventer des rituels qui aident à vivre ensemble

Un travail qui vise d’abord et avant tout l’intérieur des paroisses (cf. la réaction à Ftbleau lorsque j’ai proposé les lettres liées à la campagne ‘Ne laissons pas fragiliser le droit de l’étranger’. Une présentation aussi rapide se contente de heurter sans faire avancer les mentalités).

Cf. dans Fritz Lienhard et I.Grellier (dir.), Comprendre et s’engager, Olivétan 2005, le témoignage de J.M. Dupeux, p.141 ; les analyses de B.Vergniol, sur les peurs qui touchent les catégories populaires (crainte de la complexité, demande de sécurité, recherche d’autorité) (p.27) ; et le témoignage sur la fête des peuples p. 155

Stéphane Lavignotte :

* Les familles « nouvelles » ne sont pas magiquement meilleures. Le risque de toute période de changement, c’est que les cadres sur lesquels les gens peuvent d’appuyer – lois, habitudes, vocabulaire - soient encore insuffisants et que dans cet entre-deux renaissent des formes d’abandon, de tyrannie du fort sur le faible, que des gens se sentent perdus, sans repère. Nous pouvons inventer de nouvelles institutions, c’est à dire justement de nouveaux cadres qui peuvent aider : accueillir, écouter, accompagner, inventer de nouveaux, des mots, des symboles, des liturgies adaptés à chaque situation, sans discrimination, qui permettent de dire les moments de passage - naissances, unions, départs... - dans la vie des personnes et des familles.

Face aux évolutions de la société, les chrétiens sont toujours piégés entre deux attitudes :
 purement et simplement « bénir » les évolutions de la société pour ne pas paraître réactionnaires,
 les dénoncer et appeler au retour à la société d’avant, par exemple une soi-disante famille chrétienne, pour ne pas paraître laxiste.
La piste ici proposée est de dire les choses depuis notre point de vue, et de savoir inventer et être utile dans le sens de l’amour et de la justice. Etre nous mêmes pour être pour les autres.

Isabelle Grellier :

Pour conclure, une référence à la « communauté des dissemblables » développée par le philosophe R.Esposito. Car ce qui est en jeu, c’est notre capacité à faire communauté dans la société moderne – à faire communauté sans écraser les différences. Cela concerne la vie interne des communautés chrétiennes, aussi bien que notre façon d’être comme individus au milieu d’autres individus et comme communautés au milieu d’autres communautés. Pour Roberto Esposito, il ne peut y avoir de communauté que là où il y a des différences :

Notre mot ‘communauté’ dérive du latin ‘munus’ qui « signifie à la fois un ‘don’, une ‘obligation’, un ‘office’ que l’on doit accomplir en faveur d’un autre, explique-t-il. Cela veut dire que ce qui est à l’origine de l’idée de communauté, ce n’est pas du tout une propriété ou une appartenance commune, mais au contraire quelque chose qui nous oblige envers les autres. Non pas, donc, une appropriation, mais bien plutôt une expropriation. Non pas un avoir, mais une dette. Non pas une identité, mais une altération. Quelque chose qui nous pousse non pas à nous enfermer sur nous-mêmes, mais plutôt à sortir de notre intérêt particulier. […] Etre en commun devrait signifier avoir continuellement affaire non pas à celui qui nous ressemble ou nous appartient, mais à celui qui est différent de nous. Non pas à celui qui est immédiatement reconnaissable parce qu’il nous est en quelque sorte familier, mais à celui qui initialement nous est extérieur et étranger. Bref […] la communauté est véritablement telle seulement si elle est communauté des dissemblables, si elle implique la possibilité, et certes aussi le risque, de la différence, de l’altération, du contact avec qui n’est pas des nôtres » (Le Monde, 19 décembre 2000, p.18).

Les chrétiens ont un atout pour vivre une communauté des dissemblables qui se nourrissent des différences au lieu de chercher à les faire taire (même s’ils ne sont spontanément pas plus doués que les autres !) = la conviction que nous sommes tous enfants d’un même père, tous pareillement accueillis par lui, et que c’est lui qui nous unit, et pas nos ressemblances. De même que l’autre constitue la limite qui m’empêche de m’emparer de Dieu pour le modeler à ma façon, de même, Christ pose une limite à ma tentation de prendre le pouvoir sur les autres. Il est, dans la relation, le garant de l’altérité (cf. Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire, Genève, Labor et Fides, 1983). Les conflits ont alors inévitablement leur place dans la communauté, mais aussi la possibilité de les dépasser dans le dialogue et le pardon

Communauté des dissemblables, la communauté chrétienne pourrait être, pour la société, signe du projet de Dieu, qui est de réconcilier tous les hommes avec lui ; plus même, elle peut être ferment de ce monde nouveau, de ce royaume de Dieu, où chacun est accueilli tel qu’il est.

Notes prises sur le débat (Bertrand Marchand)  :

  • Tribus, étrangers… et les métisses ? Une parole à prendre.
  • Confort que procure l’identité, construite à l’école républicaine, véhiculant une certaine part de mythes mais identité commune.
    Puis, migration en Europe d’abord de populations chrétiennes, ensuite nord-africaines, etc. Chaque individu maintenant porteur d’une identité multiple.
  • Peurs. Quelles angoisses existentielles poussent à écraser l’autre ? à capitaliser pour l’avenir ?
  • D’après culture nomade : seuls les végétaux ont des racines ; les hommes ont une histoire. Construire une histoire.
  • Interroger la notion de famille. N’est plus la cellule de base de la société.
  • Tenir ensemble des individus égaux et différents.
  • Constat à l’éducation nationale de difficultés pour les enfants de familles monoparentales.
  • Précarité des familles est source de difficultés, plus que l’état même de monoparentalité.
    Réflexion sur ce qu’est une peur sociale, comment elle se construit, etc.
  • Besoin de rapports de solidarité entre générations. Comment conserver ces rapports ?
  • Révélation biblique de libération de la peur.
  • Mécanismes de pouvoir dans les structures familiales. Quelles sont ces mécanismes aujourd’hui ? Et quels liens avec les peurs ?
    Inquiétudes générées par les structures en réseaux.
  • Jeûne de protestation devant l’Assemblée nationale : manque d’un travail de relai.
  • Nécessité d’un dialogue sur le terrain et d’une connaissance de la réalité pour parer les peurs.
  • Réflexion sur les médias qui sont le prisme de la connaissances des réalités sociales.

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