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Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

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Article publié

Nouveau pape des catholiques

La pièce qui manquait : les relations avec Communion et Libération ?

mercredi 20 mars 2013

Une des allégeances du pape François pourrait bien nous renseigner sur le devenir de l’Eglise, ses liens avec le groupe conservateur et autoritaire Communion et Libération. Un article du National Catholic Reporter, journal catholique progressiste américain.
L’auteure, Jamie L. Masson a soutenu son Master en Sciences Religieuses à Yale Divinity School où elle a étudié la théologie catholique et la morale sexuelle. Ses chroniques dans NCR ont obtenu nombre de prix.
Traduction de Vincent Eyraud.

Je suppose que mon opinion au sujet du nouveau pape est probablement identique à celles qui peuvent être lues dans les grands médias depuis l’élection historique de mercredi soir.
J’ai été touché par la limpidité de l’amour de François envers les pauvres et par les images du lavement de pieds d’enfants malades et de patients sidéens. Je suis toutefois troublé par sa présumée complaisance envers les dictateurs argentins durant "les années de plomb" et par ses propos blessants envers les familles LGBT. Je suis inquiet de son impopularité avérée parmi ses confrères jésuites, à cause de ses vues défavorables sur les communautés de base et la théologie de la libération.
Toutefois, ce qui a excité bien davantage mon intérêt au sujet du pape François c’est son lien fort avec un mouvement nommé Communion et Libération (CL).
Comme l’a raporté John Allen dans les jours qui ont précédé l’accession de François, Jorge Mario Bergolio, le cardinal argentin s’est rapproché des CL au fil des ans, prenant ainsi la parole lors de ses rassemblements annuels à Rimini, en Italie. Allen a noté en particulier que Bergoglio a fait la promotion du livre de Frère Luigi Giussani, le fondateur de CL, lors de diverses foires aux livres en Argentine. (Il est notable que le cardinal Angelo Scola, considéré comme un des papabiles lors du conclave, est aussi un collaborateur de longue date de CL).
Giussani a initié CL, dés 1969 en Italie, en réponse à une période de changements socio-culturels fulgurants. Le mouvement a en particulier essaimé parmi les lycéens et les étudiants, puisque son moyen d’action consistait en des sessions catéchétiques hebdomadaires. Ces rassemblements nommés Ecoles de Communauté sont considérés comme le coeur du mouvement.
Sa popularité s’est développé à travers le monde dans les quinze dernières années. Bien qu’il clame sa présence dans 80 pays, ce mouvement n’est pas aussi visible que d’autres groupes comme l’Opus Dei ou les Legionaires du Christ. Son absence de visibilité devient ironique, si on la compare à celle de ces deux organisations, dans la mesure où CL est bien moins discrète et ses membres bien plus ouverts et flexibles.
Mais CL n’est pas exempte d’intrigues, en particulier selon les commentaires de certains journalistes italiens. Dans un livre paru en 2011, le Lobby de Dieu, Ferruccio Pinotti indique que CL est bien plus puissante que l’Opus Dei, a une mécanique bien plus rodée que la franc-maçonnerie, et se trouve bien mieux implanté que Confindustria, l’association des entrepreneurs italiens. Le rédacteur de la Républica, Eugenio Scalfari, est lui allé jusqu’à préciser que "pas même la Mafia ne détient un tel pouvoir : hopitaux, santé, universités...."
Les membres de CL sont connu sous les noms de Ciellini, et les relations de Bergoglio avec ces derniers ont été une autre cause de consternation parmi ses confrères jésuites, puique comme l’a noté John Allen "il fut un temps où les ciellini étaient perçus comme l’opposition principale au confrère de Bergoglio, le cardinal jésuite de Milan, Carlo Maria Martini." Lequel Martini avant sa mort l’année dernière avait affirmé, dans un entretien hautement médiatisé, que l’Eglise Catholique avait "200 ans de retard."

Ce que j’ai appris au sujet de CL, outre le site internet de l’organisation, provient de l’ouvrage Comunione e Liberazione : A Fundamentalist Idea of Power, écrit par le théologien et politicien Dario Zadra. Cet article apparait dans la monographie intitulée Accounting for Fundamentalisms : The Dynamic Character of Movements (University of Chicago Press, 2004), édité par Martin Marty and R. Scott Appleby.
Ce livre était l’un des nombreux volumes, issu des travaux de the fundamentalism Project, un programme d’études et de recherches universitaires consacré aux mouvements religieux conservateurs, à l’échelle mondiale. Marty qui est professeur émérite à l’université de Chicago et Appleby qui dirige le centre Cushwa pour l’étude du catholicisme américain, à l’université Notre Dame.
Dans son article consacré à CL, Zadra indique que la visée du mouvement s’adosse à deux idées maitresses : "Le Christ est l’évènement de salut dans l’histoire humaine, et l’autorité religieuse est un élément fondamental de la condition humaine ». Il développe : "les membres de CL placent la religion au centre d’une nouvelle vision et leurs efforts prosélytes portent sur le lien entre la société contemporaine et la religion".
Comme le protestantisme évangélique, CL comprend que l’évènement central dans la vie réside dans une rencontre salvatrice et gracieuse avec le Christ. Mais à la différence des protestants, CL comprend l’Eglise catholique romaine comme instrument de ce salut. Zadra explique que "dans CL le caractère de l’évènement de salut qui fait autorité est directement transféré à l’autorité ecclésiale. L’évènement central dans la vie est une rencontre salvatrice par et dans la communion du corps de l’Eglise. L’autorité ecclésiale explique Zadra connait sa complétude dans la fonction pontificale. L’inflexion que place CL "sur la fidélité absolue et la communion avec le succeseur de Pierre (une remarque de Benoit XVI lui-même) a rendu le mouvement particulièrement populaire parmi les membres de la hierarchie. Obeissance à l’autorité de l’Eglise semble être aussi crucial au pape François qu’à ses prédecesseurs, tout comme à CL. Dans un portrait du cardinal Bergoglio de 2005, JM Poirier, rédacteur du magazine argentin Criterio ecrivait "qu’il a exercé son autorité de provincial d’une poigne de fer, tout en exigeant une obeissance stricte, non sans douceur, et en étoufant toute voix discordantes". Nombre de jésuites se sont fait l’écho du fait qu’il se considerait comme l’interprête exclusif de Saint Ignace de Loyola, et jusqu’à ce jour parle de lui avec méfiance.
Aprés avoir interrogé dans une bonne partie de son enquête les cadres de CL et ses jeunes membres, Zadra s’est aperçu que l’organisation était quelque peu differente des mouvements traditionalistes habituels.
Ses croyances et ses pratiques font apparaitre la position réactionnaire du mouvement religieux face à la société et la culture contemporaines, sous un nouveau jour. CL revendique l’Eglise comme incarnation d’une vérité d’autorité qui lie l’ensemble de la société. En proclamant la présence du Christ, l’Eglise proclame aussi sa divine autorité— une espèce d’inérance, non pas du texte biblique (comme dans le protestantisme fondamentaliste) mais de l’Eglise.
Cette croyance dans l’inérance de l’Eglise influence CL dans sa compréhension de la conscience humaine. "La conscience individuelle est conformée par l’Eglise qui est source de contemplation". Zadra poursuit que "l’Eglise doit être considérée comme le paradigme vivant et légitime d’une société". Bien que les membres de CL soient en adéquation avec la modernité technologique et politique, ils rejettent l’insistance moderne de la liberté de conscience qui exclut le religieux par principe. Zadra explique que sont considérés comme ennemis de CL, tous ceux qui fondent leurs idées politiques et culturelles sur des valeurs humaines plutôt que dans la présence vivante de Jésus-Christ. Zadra conclut que la rhétorique politique et la vision du mouvement semblent s’inscrire dans une veine politique classique dans le monde catholique qui consiste à ramener l’Eglise catholique romaine à son rôle de puissance séculière traditionnelle.
Mon propos en explorant CL n’est pas de diaboliser le mouvement ou le nouveau pape, mais plutôt de présenter un tableau plus complet de François par l’exploration en profondeur d’une organisation avec laquelle il a entretenu une relation étroite.
Ceux pour lesquels l’humilité du pape François serait le signe d’une autorité romaine plus décentralisée ou une relativisation de l’orthodoxie dogmatique devraient se pencher sur la compréhension de la papauté par CL. Ceux pour lesquels le zèle de François envers les pauvres et les marginaux le conduira à s’engager dans le monde en abandonnant l’agenda de la nouvelle évangélisation devraient se renseigner au sujet de la croyance de CL, selon laquelle la vérité autoritaire de l’Eglise doit s’exercer sur tous les pans de la société. Sur ce dernier point, le pape François devoile son jeu dans sa déclaration d’ouverture le soir de son élection.
Juste avant de demander à la foule de prier pour lui, le nouveau pape a dit "mon espèrance est que ce chemin d’Eglise que nous entamons ensemble, avec l’aide du cardinal vicaire de Rome soit fécond pour l’évangélisation de cette belle cité". Savoir si le pape François aura davantage de chance que son prédecesseur dans l’évangélisation de l’Europe reste en suspens, en particulier au regard des antécédents de l’Eglise sur sa terre natale. Malgré les encouragements du cardinal Bergoglio à ses ouailles de se joindre aux actions politiques contre le mariage de même sexe, l’Argentine est le premier pays latino-américain à consacrer l’égalité en matière matrimoniale en 2010. Et comme le soulignait mercredi soir the Associated Press, alors que l’Argentine compte 33 millions de catholique, soit plus des deux tiers de la population, moins de 10% assistent à la messe régulièrement. L’idéologie et l’organisation de CL peuvent être puissantes en Italie, mais seul le temps dira si elles peuvent exercer une influence globale et quel rôle le pape François serait susceptible de jouer dans son maniement.
Ncr 15 mars 2013


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