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Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

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Article publié

1911 : Au Gabon, pour tous "les mêmes droits, mais aussi les mêmes devoirs."

samedi 17 décembre 2011, par :

Nous publions un article de Daniel Urbain sur Maurice Robert qui fut missionnaire au Gabon. Il était influencé par le Christianisme Social dans les années 1900-1911 et s’est engagé dans une communauté qui rappelle les "Solidarités" du Christianisme Social, une coopérative de production et de consommation d’ "égalité absolue", hommes ou femmes, blancs ou noirs, catholiques, protestants ou païens. Cet article est destiné à la revue du CEPB (Centre d’Etude du Protestantisme Béarnais). Merci à Daniel Urbain, au CEPB et à Robert Olivier (petit fils) de nous avoir autorisé à publier cet article, résumé d’un recueil de lettre du missionnaire. Cet article saisit bien les questions à l’origine du Christianisme social et les intuitions qui nous animent toujours un siècle plus tard.

Beaucoup d’entre nous ont connu Maurice Robert, (1914-2002), pasteur à Orthez dans les années 1950. Celui dont il sera question ici est le père du pasteur d’Orthez. Ce premier Maurice Robert (1878-1913) a été, avec son épouse Philippine de Montmollin ((1879-1915), missionnaire au Gabon. En 1999, Olivier Robert (fils du pasteur d’Orthez et petit-fils du missionnaire) a publié un ouvrage qui a pour titre : "Chronique d’un engagement, 1890–1916, Correspondance autour de Maurice Robert et de Philippine de Montmollin."

Il s’agit de courrier échangé par les deux époux entre eux, avec leurs proches et aussi avec les responsables de la Société des Missions Evangéliques de Paris, en particulier son directeur d’alors, Alfred Bœgner. On y découvre deux figures attachantes ; un homme et une femme désireux de servir Jésus-Christ de manière concrète. Leur foi ne peut pas être séparée de l’amour du prochain et d’un souci de justice. Cela les pousse à être attentif à la dignité humaine des gens auprès de qui ils travaillent, que ce soit en Europe ou en Afrique. Ce souci de la dignité de chacun leur donnera un esprit critique envers les méthodes employées par la Société des Missions de Paris, méthodes qui parfois leur semblent contrecarrer les buts recherchés.

Maurice Robert et Philippine de Montmollin, sont Suisses, issus du canton de Neuchâtel ; le courrier présenté dans cet ouvrage est échangé entre trois pôles géographiques : la Suisse, la Maison des Missions, boulevard Arago à Paris, et enfin le Gabon (ce territoire est alors considéré comme une partie du « Congo français », on trouvera donc dans les citations de l’époque le mot « Congo » pour désigner le champ de mission situé le long de l’Ogoué, au Gabon).

Leur engagement, les conflits qui s’ensuivent, les échecs aussi, useront leur santé. Maurice Robert meurt à l’âge de 35 ans. Philippine de Montmollin, son épouse, à l’âge de 37 ans. De la sorte, le second Maurice Robert, celui qui sera pasteur à Orthez, ne connaîtra pas son père, décédé avant sa naissance, et tout petit, il perdra très vite aussi sa mère. Maurice Robert a étudié à Paris, à la Maison des Missions, boulevard Arago, de 1898 à 1902 ; il est parti célibataire à Lambaréné ; sa fiancée l’y a rejoint et ils se sont mariés.

Ils passeront 11 mois en Europe en 1905-1906. Lors d’un second séjour au Gabon, Maurice décide de démissionner et de créer une œuvre indépendante en 1911, une communauté égalitaire de travail agricole avec des Africains. La maladie mettra un terme à l’expérience. (C’est l’époque où Albert Schweitzer crée aussi une œuvre indépendante de la Mission de Paris qui n’a pas accepté sa candidature, son fameux hôpital de Lambaréné).

Lorsque sa lettre de démission était parvenue à Paris, Alfred Bœgner se trouvait aux États Unis. S’il avait été là, il aurait demandé au Comité de mettre simplement Maurice en congé sans son traitement, mais sans accepter sa démission. En son absence, l’irréparable a été commis par le Comité de la Société des Missions Évangéliques de Paris, privant l’œuvre d’un collaborateur, qui avait pourtant réussi à faire évoluer les choses lorsqu’il en était encore l’agent.

Que s’est-il passé ?

On doit d’abord rappeler quelques fondamentaux pour comprendre le contexte : (Note n° 1)

– La Société des Missions Évangéliques de Paris avait été précédée un an avant sa fondation, par la Société de la morale chrétienne. C’est l’initiative, en 1821, de quatre protestants adeptes du Réveil et de quatre catholiques libéraux. Elle a pour objet de « faire naître (…) une juste horreur pour le commerce infâme que l’on nomme “traite des noirs”, et pour ceux qui se livrent à ce trafic, malgré la défense de la loi ». Neuf membres de cette société abolitionniste se retrouveront dans le comité de la Société des Missions Évangéliques de Paris. Le souci de la dignité humaine est donc le moteur initial de tout cela. La mentalité qui sera au départ de tous les efforts missionnaires de ce temps, s’exprime par un ouvrage anglais d’un certain Fowel Buxton traduit en français très vite après sa parution, en 1840 : « L’Afrique peut trouver dans ses ressources propres de quoi compenser largement le commerce des esclaves… Un commerce légitime fera tomber le commerce des esclaves en démontrant combien la valeur de l’homme, ouvrier agricole, l’emporte sur celle de l’homme marchandise ; conduit d’après de sagesse et d’équité, ce commerce pourrait être le précurseur,ou plutôt le fidèle ministre de la civilisation, de la paix et du Christianisme » ; cité par Jean-François Zorn ; Le Grand siècle d’une Mission Protestante, la Mission de Paris de 1822 à 1914 ; Paris 1993 ; page 27.

– La Société des Missions Évangéliques de Paris (la Mission de Paris) existe depuis 1822 ; elle n’est pas l’œuvre d’une Église particulière ; c’est une œuvre créée par les particuliers touchés par le Réveil et appartenant à diverses Églises, elle est soutenue financièrement par des groupes d’Amis des Missions (ceux-ci ne se regrouperont à travers toute la France d’alors, – mais aussi en Alsace annexée, en Suisse Romande, Hollande et Italie – en Comités Auxiliaires des Missions, nettement structurés qu’à partir de 1881. Le premier ayant été celui du Montalbanais.) (Note N°2).

– La Mission de Paris a démarré son intervention dans des territoires contrôlés par la Grande Bretagne, car en pleine Restauration, le pouvoir politique français était trop imbriqué avec l’Église catholique. Les marins français débarquant quelque part y plantaient en même temps la croix et le drapeau français. Les missionnaires catholiques arrivaient sur les pas des marins et des soldats, avant même les commerçants. Plus tard, elle prendra la place de Missions anglaises ou américaines, lorsque certains territoires passeront sous contrôle français.

– La Mission de Paris, à l’époque de Maurice Robert, a son siège à la Maison des Missions, 102, boulevard Arago à Paris (XIVe arrondissement). Ce bâtiment abrite aussi l’École des Missions où Maurice Robert passera trois ans.

Les futurs missionnaires y logent et il y a une vie spirituelle commune à tous les habitants de ce petit immeuble, cultes, réunions de prières, etc. C’est essentiel de le savoir, car le séjour que Maurice Robert y fait, renforce les liens d’affection qui vont le lier à Monsieur et Madame Bœgner, qui étaient déjà, avant son admission à l’École des Missions, des amis de ses parents à Neuchâtel. Tout près se trouve la faculté de Théologie Protestante, au 83 de ce même boulevard Arago. Les élèves de l’École des Missions peuvent suivre aussi certains des cours de la Faculté. « Certains des cours », en effet, car quelques professeurs de la Faculté sont jugés trop « libéraux » par une partie des membres du comité directeur de la Mission de Paris, ceux-là mêmes qui refuseront la candidature d’Albert Schweitzer ou celle d’André-Numa Bertrand. André-Numa Bertrand, 1876-1946 (Note N° 3), qui sera pasteur de l’Oratoire du Louvre à Paris de 1926 à sa mort, avait écrit dans sa lettre de candidature de juin 1897, qu’il « se rattache délibérément à la portion dite libérale des Églises Réformées de France », qu’il espère « qu’on n’empêchera pas un disciple du Christ de servir sous l’étendard de son Maître, là où il sent que son devoir l’appelle… L’Écriture sainte ne peut avoir à mes yeux, d’autre autorité que celle qui réside en la personne de Jésus-Christ. » C’est sa conception de l’autorité de l’Écriture qui sera la cause du rejet de sa candidature comme missionnaire).

Lorsque Alfred Bœgner était le directeur de l’École des Missions – avant d’être celui de la Mission de Paris, proprement dite – il est clair qu’il n’a pas voulu se couper de la faculté de Théologie. Il se trouvera même obligé de se rendre à Neuchâtel à une Assemblée des Missions où les Églises Libres de Suisse Romande menaçaient de couper les vivres à la Mission de Paris, si les élèves de l’École des Missions continuent à suivre les cours de la Faculté. Alfred Bœgner doit rassurer ses amis suisses ; on est alors en mai 1880. Alfred Bœgner écrit : « L’avis unanime (du Comité) a été qu’on ne pouvait, sous la pression d’une question d’argent, changer les rapports avec la Faculté. On évite les cours décidément opposés (Maurice de Vernes), ou pas assez religieux (Philippe Berger), mais on ne se sent pas libre de sacrifier Sabatier. En même temps on est décidé à fortifier l’enseignement de la Maison des Missions qui reste au centre ».

Nous ignorions si la famille Robert était de l’Église Libre ou de l’Église Nationale ; la première hypothèse nous semblait la bonne, à voir le discours du père, nettement marqué par le Réveil, mais Olivier Robert estime que ses grands parents appartenaient à « l’Eglise Nationale ». Une lettre de Maurice à Alfred Bœgner, datée du 17 septembre 1901, alors qu’il est en vacances en Suisse, au Ried sur Bienne, la maison familiale, nous donne des indices sur ses positions théologiques alors qu’il n’est encore qu’étudiant. Cette lettre est le compte-rendu d’un séjour en Belgique, où il est – le temps des vacances – le suffragant d’un pasteur. Maurice y évoque la lecture des livres d’Auguste Sabatier (1839-1901), un théologien protestant qui fut professeur des facultés de Strasbourg, puis de Paris. Il n’a cessé de combattre les démarches d’autorité en matière de foi. C’est le champion d’un libéralisme théologique qui recentre la foi sur la personne de Jésus-Christ, sur le lien vivant avec lui, par delà les dogmes qui figent la foi dans une doctrine. À noter qu’en 1901 Maurice ne peut pas encore connaître Les religions d’autorité et les religions de l’Esprit, dont la publication posthume est de 1904. Mais la pensée de Sabatier lui est sans doute déjà familière par les autres ouvrages, ou peut-être par ses cours, s’il les a suivis.

Maurice n’est donc pas insensible aux courants de pensée libéraux, ni à ceux du Christianisme Social. Il souligne d’ailleurs dans une lettre à sa mère, la grande liberté qu’il y a lors des cours de la Maison des Missions, où les étudiants posent des questions aux professeurs, attitude impensable si l’ambiance de la Maison des Missions avait été celle d’une « religion d’autorité », où la parole des maîtres ne se discute pas. Un autre indice de la liberté de pensée qui anime Maurice Robert apparaît dans son courrier. Dans cette période, on est en pleine Affaire Dreyfus ; Maurice suit des réunions publiques en faveur de Dreyfus. On ne sait s’il a fréquenté Raoul Allier (1862-1939), membre l’Église Libre du Luxembourg, 58 rue Madame, la paroisse où Maurice suit les prédications du pasteur Hollard, et au sein de laquelle, il s’est engagé comme moniteur d’École du Dimanche dans une annexe en quartier populaire. Raoul Allier, est un ardent défenseur de Dreyfus. Il enseigne la philosophie à la faculté de Théologie de 1889 à 1933 (sans être pasteur, c’est un universitaire). Or c’est en même temps un des dirigeants de la Société des Missions Évangéliques de Paris. Il a même enseigné un temps aussi à l’École des Missions. Maurice en s’engageant dans ce sens n’apparaît donc pas comme un électron libre à contre courant d’une Maison des Missions qui serait coincée dans un conservatisme étroit.

Dans une lettre de Paris adressée à son frère Philippe, il écrit le 9 septembre 1901 : « Tu me parais juger avec beaucoup de sévérité Wilfred Monod et tout le mouvement du messianisme contemporain. Tu l’as bien mal compris si tu penses que son christianisme se réduit à une réforme politique et économique de la société ; nul plus que lui ne comprend toute la valeur de la conversion individuelle… C’est très bien le salut individuel mais quelle valeur a-t-il s’il est égoïste ? Relis les Évangiles et vois la place énorme qu’y tient l’altruisme en face de l’égoïsme de la piété traditionnelle. Il faut une réaction. Monod, Babut, Roth, Gounelle, Quiévreu en sont les initiateurs. Voilà un mouvement bien lancé et profondément évangélique. » (note N° 4).

Dans une autre lettre à son frère Philippe, datée de Lambaréné, en juin 1902, alors qu’il est tout juste débarqué au Gabon, il écrit : « Jouer un rôle politique dans l’organisation des villages et des tribus galoases. Tout cela n’est pas chose facile et c’est pourtant mon idéal, le but que je me propose et que je dois atteindre si mon œuvre veut être taxée d’utile et de sociale… De toute cette jeunesse, je voudrais créer une élite capable un jour de prendre les rênes du peuple, de mettre le holà à toutes ces… coutumes sauvages, cruelles, pleines de ruses et de jalousie. Tu as appris dans le B A BA du socialisme que pour transformer l’individu, il fallait réformer le milieu ; mais ce milieu ne peut être et ne sera transformé que par des individus, l’élite. Il faut une élite. Si je réussis à la créer, ma vie n’aura pas été inutile. »

Il arrive, dans ce que l’on nomme aujourd’hui le Gabon. (note n° 5) Avant 1914 et depuis le Congrès de Berlin de 1885, c’était une partie de « Congo Français », avec Libreville, Franceville et Brazzaville, que Savorgnan de Brazza avait offert à la France, après avoir exploré cette contrée de 1875 à 1886. Savorgnan de Brazza avait trouvé une mission américaine établie sur le fleuve Ogoué, sur plusieurs stations missionnaires en aval et en amont de Lambaréné. Après le Congrès de Berlin, la Mission de Paris prendra en charge ces stations et y poursuivra l’œuvre des Américains avec les mêmes méthodes.

Maurice sera rapidement en désaccord avec ces méthodes ; dans une lettre à Alfred Bœgner, lors de son séjour de repos en Suisse, il écrira le 24 octobre 1905 : « Les premières missions avaient pour but presque unique l’évangélisation et la création de communautés autonomes destinées à se passer un jour complètement de l’élément européen… » Il note que l’action philanthropique, médicale, l’amélioration des conditions de vie des indigènes, etc., prend le pas sur l’évangélisation et dévore dans des tâches matérielles le temps dont dispose les missionnaires, en substituant la civilisation européenne aux « civilisations primitives indigènes ». Il poursuit : « Nous avons eu le tort de succéder aux Américains… et nous n’avons presque rien changé à leurs manières de voir, à leurs méthodes. C’est avec une teinte plus morale, le système catholique qui, sous prétexte de philanthropie, consiste à maintenir le noir sous tutelle, dans une perpétuelle minorité… Nos grands ennemis, ce ne sont pas les pratiques fétichistes des indigènes, leur immoralité, leur alcoolisme… mais bien nos magasins… Voilà le trou béant où vont s’engouffrer les fonds de la Société des Missions, la dignité de l’indigène, et, souvent aussi la patience et la charité chrétienne du missionnaire. »

Maurice Robert propose la suppression de la gratuité de l’écolage, la constitution d’une société anonyme, indépendante mais auxiliaire de la Mission, pour gérer les magasins. On l’écoutera, le siège de cette S.I.A.O., la Société Agricole et Industrielle de l’Ogoué, sera fixé au Havre. (Note n° 7)

Maurice Robert se fait construire en France un canot automobile qui lui permettra de se déplacer sur le fleuve, sans être tributaire des pirogues avec un nombre important de pagayeurs, qui jusque là assuraient tous les trajets des missionnaires d’une station à l’autre, provoquant des frais de déplacements importants et pas toujours justifiés pour la Société des Missions qui connaît alors une crise financière. Celle-ci s’explique par la séparation des Églises et de l’État, qui oblige les Églises de « métropole » à payer les salaires de leurs pasteurs, jusque là fonctionnaires de l’État (sauf bien sûr, pour les Églises Libres). Cela réduit les contributions de paroisses destinées aux Missions. Maurice commence à agacer ses collègues quand ils critique leurs frais de déplacements pour raisons personnelles, qu’ils font porter au budget du champ de mission. La conférence missionnaire (l’ensemble des missionnaires présents au Gabon et qui se retrouvent chaque année), ne l’a pas suivi dans la mise en place pratique de la S.I.A.O., on n’a pas mis en place l’aspect pédagogique qu’il voulait donner à cette nouvelle structure, autre raison de conflit avec les collègues. ( Note n°6 ).

C’est alors qu’il va proposer de créer une œuvre autonome, une communauté de travail où lui et sa femme s’engageront aux côtés de ménages indigènes, près à partager ressources et labeur. Le 10 mai 1910, il écrit de Lambaréné à Alfred Bœgner, pour lui « narrer en détail toute l’évolution qui se produit » en lui depuis plusieurs années : « Il m’en coûte beaucoup de vous dire ce que je vais vous dire ; je sais la très profonde affection dont vous n’avez cessé de m’entourer depuis plus de dix ans… Le malaise que laissent percer certaines de mes attitudes (…) ne porte pas sur ma vocation missionnaire, (…) que sur le droit que j’ai de collaborer avec des hommes (les collègues) dont je ne partage pas toutes les idées religieuses, morales, ecclésiastiques, pédagogiques (et) de m’associer à une œuvre dont le but et surtout les méthodes diffèrent beaucoup, et parfois essentiellement, de ce que j’entrevois pour une œuvre vraiment missionnaire. »

Maurice a toujours refusé la consécration pastorale, or ses collègues ont voulu qu’il soit chef de station. Il se conteste donc le droit, étant donné les statuts de la Société des Missions, d’accepter cette charge, puisqu’elle incombe en principe à un « pasteur consacré ».

Le 18 septembre, il écrit de nouveau à Alfred Bœgner : « Mon départ est une chose obligatoire tant que la Société des Missions n’aura pas élargi sa base de recrutement pour y recevoir ce qu’il est convenu d’appeler des libéraux. »

Le 18 janvier 1911, il écrit à un administrateur de la Société des Missions : « Me sentant un peu à l’étroit dans le cadre actuel de la Mission,, rêvant d’une activité sociale et économique plus étendue, plus pratique, estimant que la S.I.A.O. n’avait pas compris tout son rôle de pédagogie, je veux essayer en vivant le plus près possible de l’indigène de lui faire aimer le travail joyeusement et librement consenti (…) de le convertir à une vie meilleure, plus utile, plus morale, plus aimante, en un mot de le relever au point de vie religieux, moral, social et économique (…) »

Ce même 18 janvier, il envoie sa démission au directeur par intérim (Alfred Bœgner est aux États Unis), C’est un très long texte : « J’ai l’honneur de vous annoncer, pour la clôture de l’exercice, le 31 mars prochain, ma sortie des cadres de la Mission. » Il évoque alors une première lettre de démission, préparée en juin 1907 et jamais envoyée. Il exprime sa théologie libérale :

« Je vois une distance infinie entre l’enseignement moral et religieux qui m’empoigne tout entier et force, pour ainsi dire, ma confiance, et l’érudition théologique d’un Paul, d’un Jean qui me laisse intéressé certes, mais rêveur (…) »

« Une seconde raison, plus profonde encore que la première, qui m’engage à sortir des cadres, c’est l’impossibilité matérielle, étant donnée l’organisation actuelle de notre Mission, de réaliser pratiquement l’idéal missionnaire que j’ai entrevu. Il y a au point de vue de l’indigène, un contact infiniment plus intime à établir entre blancs et noirs (…) « À l’imitation de Jésus qui, en donnant l’ordre aimez-vous les uns les autres, vivait avec les péagers et les gens de mauvaise vie, est-ce que je vis moi aussi, avec les indigènes pour avoir le droit de leur prêcher : aimez-vous ? Hélas ! je crains bien qu’en alléguant les exigences de l’hygiène tropicale, je ne cherche là qu’un prétexte pour voiler mon égoïsme, mon arrivisme de bourgeois confortablement installé. Je vis loin des noirs, très loin des noirs, je ne les connais pas, je ne puis les aimer, les aider parce que je ne suis pas assez près. » Il explique alors que toute les bonnes paroles qu’il peut leur prodiguer sur l’hygiène ou l’alcoolisme ne sont que du vent, tant qu’il y a une telle distance entre lui et les noirs. « En disant cela, vous l’avez deviné, mon but n’est pas de partir – j’ai de trop grandes attaches avec ce peuple – mais bien de me fixer dans son sein et d’y essayer autre chose que ce que nous y avons fait jusqu’à présent. Avec une poignée de jeunes gens mariés, fatigués de l’inertie et de l’obscurantisme de leur milieu, navrés de la désorganisation sociale et économique qui se laisse aller à la dérive sans guide et sans but (…) nous avons décidé d’aller fonder un nouveau village et d’y créer une sorte de petite coopérative de production et de consommation. Égalité absolue de tous les membres, hommes ou femmes, blancs ou noirs, catholiques, protestants ou païens. Pour tous les mêmes droits, mais aussi les mêmes devoirs. »

Le 13 février le secrétaire général annonce la démission de Maurice au Comité directeur de la Mission de Paris. Elle est acceptée. Par un câblogramme des États Unis arrivé trop tard, Alfred Bœgner avait demandé que l’acceptation de la démission de Maurice fût réservée (différée) jusqu’à son retour.

Alfred Bœgner aurait voulu qu’on mette Maurice Robert en disponibilité sans traitement, pour qu’il puisse mener à bien son expérience de communauté agricole.

Le Journal des Missions (le Journal vert) annonce la démission de Maurice : volume 1911, page 252 : « Tout en quittant la Mission, Monsieur Robert ne se propose pas de quitter le Congo. Il voudrait essayer, à ses risques et périls et sous sa responsabilité personnelle, ce qu’il croit pouvoir reprocher à notre Mission de n’avoir pas su faire. »

Le 20 avril 1911, Paul Robert, le père de Maurice écrit à Alfred Bœgner pour lui dire qu’il est catastrophé du départ de Maurice de la Mission, pour lui redire son amitié personnelle pour Monsieur Bœgner. Il explique qu’il a tenté de retenir son fils, mais que sa lettre à lui est arrivée trop tard.

Le procès-verbal de la séance de la Commission Exécutive de la Mission de Paris du 1er mai , note : « Le directeur tient à revenir sur la démission de Monsieur Robert ; s’il eût été en Europe, il aurait insisté pour que cette démission ne fût pas acceptée et que Monsieur Maurice Robert fût mis seulement en disponibilité sans traitement. » L’installation sur le site de la nouvelle communauté se fera vers le 15 juillet 1911.

Le 16 septembre, Philippine écrit à Madame Pelot (le seul couple de missionnaire qui leur gardera leur amitié, semble-t-il) : « Il y a des jours où dix hommes et plus travaillent pour nous ; mon mari compte dans ces dix. D’autres jours, on s’assied. » Suit un mot de Maurice à Pelot. Maurice a emmené avec lui, bien sûr, son canot à moteur personnel. De septembre 1911 à novembre 1913, on ne dispose d’aucun document. Cette année-là Philippine écrit souvent aux Pelot pour la liquidation de leurs biens au Gabon. Elle les chargera de proposer le canot à moteur à la S.I.A.O.

Le 18 décembre 1913, c’est la mort de Maurice. Le Journal des Missions publie une notice nécrologique élogieuse. Le petit Maurice (celui qui sera pasteur à Orthez) naît le 14 juillet 1914. Une lettre de Pierre de Montmollin (le père de Philippine) à sa fille Henriette du 6 mars 1916, dit : « Ce soir, à sept heures, Philippine nous a quittés… Le petit Maurice est toujours chez Mademoiselle Kissling. » C’est cette personne qui élèvera Maurice.

Il ne faisait pas bon tenter une expérience hors des sentiers battus. Schweitzer, lui, trouvera l’argent pour mener la sienne (Le journal des Mission de novembre 1913, annonce son installation à Lambaréné). Notes

Plusieurs des indications que nous donnons pour comprendre le contexte proviennent de l’ouvrage de Jean-François Zorn, Le Grand siècle d’une mission protestante, la Mission de Paris de 1822 à 19414 (les détail sur les débuts de la mission du Gabon, mais aussi les problèmes des théologiens jugés trop libéraux par la Mission de Paris). Jean-François Zorn a été le premier dans les pages 104 à 106 (et notes page 132), à dévoiler le rôle qui a été celui de Maurice Robert, père, le missionnaire.

Maurice Robert, fils, celui qui fut pasteur à Orthez, et sa femme Claudine, selon Olivier Robert, dans son avant-propos, avaient déjà fait des photocopies en 1989 du courrier envoyé du Gabon par Maurice Robert à la Maison des Missions.

Après la publication de l’ouvrage de Jean-François Zorn, ils l’ont rencontré à Paris et Maurice Robert fils lui a dit que toute cette affaire avait été soigneusement cachée par toute la famille ou « enveloppée d’un voile de mystère et de petite honte. »

Pourtant s’il y a eu échec, Maurice et Philippine n’auraient pas dû en rougir. L’article nécrologique de M.R. dans le Journal Vert, témoigne bien de l’admiration pour son œuvre et Jean-François Zorn, de son côté, montre bien combien Alfred Bœgner avait apprécié leur volonté de poursuivre leur œuvre missionnaire de façon autonome.

Note n° 1, sur le contexte : voir la 1ère partie, chapitre 1, de l’ouvrage de Jean-François Zorn, « Le grand siècle… », pages 23 à 36.

Note n° 2, sur les débuts de la Société des Missions évangéliques de Paris, voir la 4ème partie de cet ouvrage, pages 553 à 583.

Note n° 3, sur les candidats « libéraux », voir la 4ème partie de cet ouvrage, pages 584 à 632.

Note n° 4, sur les pionniers du Christianisme Social : on connaît bien Wilfred Monod ( 1867-1943), Charles-Edouard Babut (1835-1916), Elie Gounelle (1865-1950), son frère Théodore Gounelle. Ils s’étaient regroupés autour de Tommy Fallot (1844-1904) qui a initié la nécessité d’une réflexion théologique sur les questions sociales.

Dans la lettre que Maurice adresse à son frère Philippe le 9 septembre, il lui dit : « Tu me parais juger avec beaucoup de sévérité Wilfred Monod et tout le mouvement du messianisme contemporain. Tu l’as bien mal compris si tu penses que son christianisme se réduit à une réforme politique et économique de la société ; nul plus que lui ne comprend toute la valeur de la conversion individuelle… »

Qu’est-ce que le Christianisme Social ?

Ecoutons Jean Baubérot et Lucie Kaennel, pages 215-216 de l’Encyclopédie du protestantisme, (CERF/LABOR ET DIDES, Paris et Genève, 1995) :

« Etroitement liée à une théologie du Royaume, l’action sociale déployée dans les « Solidarités », où ouvriers protestants et non-protestants sont accueillis et insérés dans un complexe d’œuvres morales, sociales, religieuses qui encadre leur vie quotidienne, doit permettre d’acquérir de solides principes moraux pour construire une société nouvelle, plus juste, préface à l’instauration du Royaume ».

Jean ROTH (né à Ribauvillé dans le Haut-Rhin, le 27 avril 1861) a été pasteur à Orthez de 1891 à sa mort en pleine activité à Orthez en 1926. Fin 1899, il lance à Orthez le premier journal du Christianisme social, L’Avant Garde. Le titre sera repris au plan national par Théodore Gounelle et son frère Jean Gounelle. De concert avec Paul Monnier, le pasteur de l’Eglise Libre d’Orthez, Jean Roth fondera une « Solidarité ». Nous ignorons qui était Quiévreu.

Les Solidarités sont très proches des « Fraternités » de la même époque, que ce soit celle de la Mission Populaire Evangélique ou celle d’Oloron-Sainte-Marie, créée (en lien avec la SCE), par Albert (le pasteur) et Henri (l’avocat), deux des cinq frères Cadier, pour œuvrer parmi les ouvriers espagnols immigrés d’Oloron.

Albert écrivait en 1906, lors de la l’assemblée générale du 9 décembre : « Ce que j’ai été amené à faire à Oloron…c’est la formation dans cette ville d’une famille spirituelle…Ce n’est pas un temple, c’est une maison du peuple, ouverte à toute heure et à tous, un foyer où l’on prie, c’est entendu, mais où l’on travaille aussi et où l’on vit ».

Henri qui conseille les ouvriers espagnols sur le plan juridique, qui a réanimé la société de secours mutuel « La Espanola », qui a créé le G.A.L.S.O., le Groupe d’Action Sociale et Laïque, qui pousse les ouvriers à se syndiquer, intervient à l’assemblée générale du 19 janvier 1908 : « Tout en distinguant en pratique l’œuvre religieuse qui se poursuit dans cette salle de l’œuvre sociale…., il montre les liens étroits qui unissent par en dessous ces deux activités différentes, c’est ici (à la Fraternité, dit-il) , au contact de l’Evangile que se forment des individualités énergiques et des consciences droites. De plus la prière, union intime de l’âme avec Dieu, regard jeté vers l’idéal, donne à ceux qui agissent, une force que rien ne pourrait remplacer. ». Henri ( 1877-1965), sera longtemps, en 1935-36, puis de 1941 à 1956, le président de l’Association d’Entraide Protestante de Pau (Diaconat), le président de la Ligue des Droits de l’Homme des Basses-Pyrénées et il devra se réfugier en Suisse de 1943 à la Libération pour ses activités résistantes : faire libérer des prisonniers de Gurs, puis action dans un réseau d’évasion de résistants vers l’Espagne. Son action et son discours semblent fort proches du Christianisme Social. Note n° 5, sur l’aspect géographique, voir la première partie, chapitre 5, la carte page 79 et le texte pages 81 à 110.

Note n°6, sur l’expérience de la S.I.A.O. et Maurice ROBERT, voir dans l’ouvrage de Jean-François Zorn, au chapitre 5, les pages 104 à 106 ainsi que les notes page 132.


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