Le protestantisme européen célébrera en 2017 le 500ème anniversaire de l’affichage, par le moine Luther, des "95 thèses" contre les indulgences aux portes de l’église du château de Wittenberg.
Faire de cet anniversaire un événement ecclésiastique et religieux serait un non-sens. Cela masquerait les formidables conséquences, sociales, économiques et politiques de la Réforme, qui ne sont plus à démontrer, dans une société qui ignorait la distinction, bien récente et peut-être déjà obsolète, entre un espace public et un espace privé où se niche le religieux.
Lors de ces célébrations qui se préparent on devra d’ailleurs se questionner sur cette fameuse migration du sacré qui, du ciel (l’âme, l’enfer, le paradis, le purgatoire) est passé à la terre (l’argent, la récession, la croissance, l’austérité).
S’il y a une pertinence à faire mémoire de ce temps fondateur pour le protestantisme luthérien et calviniste, elle ne se trouve pas dans les reproches mesurés que l’on pourrait faire à notre sœur, l’église catholique romaine, qui procède encore de manière discrète, périphérique et rare à l’attribution d’indulgences plénières, mais plutôt en revisitant la puissance subversive de la protestation de Luther dans un monde qui voyait la domination du mercantilisme, de la corruption et de l’argent se propager.
Dans notre monde qui se prétend séculier et qui s’adonne de manière éhontée à un trafic d’indulgences sans limites, la protestation de Luther ne trouve-t-elle pas toute son actualité ?
Dans nos sociétés qui se donnent pour salut, pour espérance messianique paradisiaque : la croissance de la production et de la consommation avec toutes les conséquences violentes que cela entraîne au mépris de peuples entiers qui pour en échapper se précipitent vers nos rivages honteusement inhospitaliers, quand ils ne se noient pas avant,
N’y a-t-il pas comme un air de "déjà-vu", de parenté évidente, entre :
Ces droits que s’attribuaient hier - principalement les riches et les puissants - contre monnaie sonnante et trébuchante, à pécher sans risque de voir leurs peines célestes s’aggraver (que cela soit le droit de manger du beurre pendant le carême qui permit de construire la tour du beurre à Rouen ou le droit de rompre une trêve dûment contractée devant l’église)
Et le droit, acheté aujourd’hui, à émettre des gaz à effet de serre mortels que s’arrogent les puissants pour continuer à vivre dans leur jouissance confortable bâtie sur l’exploitation et la domination des plus faibles,
Sans omettre toutes les autres formes de passe-droit monnayables, légalement ou pas, qui exonèrent de contraintes les détenteurs de monnaie, en ne citant ici que les paradis fiscaux.
La seule différence c’est, qu’à l’époque de Luther, s’il s’agissait d’éviter le jugement de Dieu et le feu de l’enfer c’était au prix de désordres limités dans le temps et dans l’espace mais qu’aujourd’hui, c’est le sort de la planète et de ceux qui l’habitent qui est en jeu et qu’il s’agit, pour certains de s’affranchir des désordres sans limites qui attirent déjà, sur les plus fragiles, le jugement de la terre qui proteste.
Alors, oui, il faudra célébrer la protestation de Luther contre les indulgences. Mais il ne faudra pas se tromper d’adversaire. L’Evangile n’est pas une affaire privée destinée à rassurer les âmes inquiètes mais une bonne nouvelle de vérité, de paix, de justice et de fraternité à mettre en œuvre dès maintenant, sans indulgence.
Jean Pierre Rive
Pasteur de l’EPUDF