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Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

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Article publié

Signifiance

Philosophie dualiste contre pensée biblique

jeudi 24 mars 2016, par :

Le dualisme occidental informe notre rapport aux Écritures bibliques. Derrière les positions défendues au sein de l’Église protestante unie par les attestants comme par de nombreux autres, on trouve une philosophie sous-jacente non biblique.

Il s’agit ici des méfaits qu’apporte le dualisme occidental dans notre rapport aux Écritures bibliques. C’est que derrière les positions défendues au sein de l’Église protestante unie par ceux qui se nomment attestants comme par de nombreux autres, ici ou là, qu’ils puissent se penser libéraux, protestants orthodoxes ou évangéliques, se trouve à mon sens une philosophie sous-jacente non biblique.
Conformément à la tradition occidentale, cette pensée est dualiste et distingue, voire oppose, le contenant et le contenu, la forme et le sens, la matière et l’esprit, le signifiant et le signifié, le corps et l’âme, etc. Il s’agit d’une conception statique qui pose des éléments distincts liés par la relation qui unit, par exemple et pour le dire plaisamment, le vin et la bouteille : pour trouver le vin, il suffit de le chercher dans la bouteille, l’avantage étant que ce sera toujours le même vin. Autrement dit, pour apprendre ce que disent les Écritures de telle ou telle question, il suffit de chercher, parmi les mots qu’elles contiennent, ceux qui correspondent à la question posée.
Il n’est pas étonnant que l’on trouve la présence de cette conception – tout naturellement puisqu’il s’agit de la pensée qui nous habite depuis des siècles – dans la Confession de foi dite de la Rochelle, ou Confessio Gallicana (1559). Je la cite parce qu’elle se présente aujourd’hui comme l’un des exposés de la foi réformée les plus aboutis, parmi ceux qui sont nés à l’époque de la Réformation.
Pour elle, les Écritures contiennent la Parole : « Nous croyons que la parole qui est contenue en ces livres (i.e., les livres canoniques qui constituent la Bible, JA), est procédée de Dieu… » (article 5). Cela suppose plus généralement qu’une écriture est la matière d’une parole. J’insiste sur le fait que cela n’a rien de naturel et doit tout à l’histoire de la pensée parvenue chez nous depuis certaines écoles de l’Antiquité gréco-latine.
Dans la Gallicana, ce dualisme ne concerne pas seulement la question qui m’occupe ici, il lui est foncier, comme le montre cette déclaration : « Nous croyons que Jésus-Christ […] a revêtu notre chair… » (ibid., article 14). Pour elle, il n’est donc pas devenu chair, comme l’écrivait l’évangéliste (sàrx egéneto, Jean 1.14), car la chair ne lui fut qu’un vêtement.
Paradoxalement, cette façon de penser se distingue des Écritures elles-mêmes, chez lesquelles ce dualisme n’a pas cours. C’est en fonction d’une autre forme de pensée qu’elles s’expriment. Sur ce site, j’ai tenté d’en exposer les principaux traits (voir "Éléments de philosophie biblique"), j’en tire maintenant les conséquences en matière de lecture des Écritures :
Pour le dire d’abord de façon imagée, ces dernières se posent en sujets s’adressant à des sujets, c’est pourquoi il n’est pas supposé que l’on se penche sur elles de l’extérieur pour extraire d’elles tel ou tel bien, comme le ferait la langue d’un fourmilier au sein d’une fourmilière. Cette attitude – cette gestuelle – est en effet de nature coloniale : au sens propre elle est condescendante, et décrit le geste même de l’exploitation.
Les Écritures invitent au contraire à se couler en elles pour y nager comme fait le poisson dans la rivière. Aussi le secret des Écritures doit-il être saisi dans le mouvement qu’elles impriment à ceux qui se sont immergés en elles. Les conséquences de cette pratique, qui produit en nous des pensées et des affects, puis des conduites, ne peuvent être radicalement anticipées.
Cela signifie que les écritures sont en elles-mêmes un fait complet, et que toutes paroles qui viendraient d’elles le feraient par le moyen d’une traduction en un autre fait, ces paroles mêmes.
Pour exposer cela maintenant de façon plus théorique, je dirai que le sens des Écritures ne s’exprime pas sur le mode de la signification, mais sur celui de la signifiance :
– La signification naît du repérage d’éléments constitutifs et juxtaposés d’un ensemble, et des liens qui les unissent de façon statique, synchronique et discontinue. Elle est un passé à retrouver et restituer. Elle s’applique à un objet, le texte à étudier.
– La signifiance apparaît pour vous dans le mouvement diachronique continu imprimé par l’écriture lorsqu’elle devient votre parole. Elle est un présent à instituer et un avenir à constituer. Elle rencontre un sujet, une écriture à habiter et faire vibrer.
Comme la construction des mots en –ure l’indique par ailleurs, l’écriture et la lecture sont alors des processus temporels, non des entités à explorer ou à retrouver, sinon elles se dégradent en vulgaire écrit et en simple redondance. On y perd une parole, et, quand il s’agit des Écritures, une Parole de Dieu.
Cette façon de voir rend compte de la puissance de créativité propre aux Écritures, pour lesquelles sont toujours allées de soi la constante reprise et la réécriture en situation de traditions littéraires plus anciennes par les prophètes, les prêtres et les scribes, ou la juxtaposition de quatre évangiles dissemblables, ou encore l’édition de textes dits pauliniens parfois allègrement contradictoires. Il convient, à mon sens, de les lire comme elles ont été écrites, c’est-à-dire de les délier et de les laisser produire plutôt que de les statufier.
Au lieu d’enjoindre quiconque à se conformer à tel ou tel mot d’ordre extirpé de la Bible, il y a donc à habiter, je pense, la forme de pensée qui a présidé à l’écriture des Écritures. Poser cela ne préjuge en rien des conséquences pratiques que l’on pourrait s’accorder à tirer collectivement de ce processus puisqu’elles sont à venir, à faire venir.
En régime réformé, cette démarche suppose acquis « le témoignage et la persuasion intérieure du Saint Esprit… » (ibid., article 4). Ainsi, lorsqu’un synode prend telle ou telle décision après avoir demandé le secours du Saint Esprit, de son témoignage et de sa persuasion, on devrait s’attendre à ce que, après cela, l’ensemble de la communauté adopte les décisions prises. Or il n’en est rien, toute l’histoire des multiples dissensions ou scissions de nos Églises au cours des siècles le démontre. Et cela est d’autant plus indépassable que chacun se persuade d’avoir été persuadé par l’Esprit saint, ce qui laisse entendre souterrainement, ou affirme expressément, que l’Esprit qui a persuadé les autres n’était pas le vrai.
C’est que ce témoignage du Saint Esprit intervient alors en des esprits habités par le dualisme dont je parlais (dia-bolique, si l’on se fie à l’étymologie !). Ils le figent en leurs catégories, antérieures et diverses, au lieu de se mouvoir en lui dans une commune et créative espérance.
Je suis persuadé qu’ainsi, on ne fait pas Église, ekklêsía, assemblée convoquée (par et pour une Parole prophétique).
C’est en fonction de cela que, par exemple, dans le cadre de la disputation ecclésiale touchant à la question de la bénédiction des couples homosexuels, j’ai toujours affirmé que je ne pouvais pas savoir ce qu’il convenait de décider en Église selon les Écritures, quelle que soit mon oiseuse inclination personnelle, puisque le processus de décision ne reposait sur aucune conception claire de celles-ci, dans notre Église comme dans beaucoup d’autres, mais s’apparentait à un dialogue de sourds, mutilés par le dualisme qui scinde toute chose en eux.
Saint-Coutant, mars 2016

  • #1 Le 24 mars 2016 à 17:07, par sabine sauret

    merci ppur cet article très clair qui rejoint nos analyses. Quel écart entre la lecture des récits évangéliques et les discours de toutes sortes de l’Eglise catholique comme nous le montrons dans notre livre : Le Déni, enquête sur l’Eglise et l’égalité des sexes.


  • #2 Le 4 avril 2016 à 19:20, par andre

    Ouah ! c’est roboratif, un peu lourd a digérer pour le péquin moyen dans mon genre, mais je sent qu’apres la digestion, on se sent d’attaque pour de nouvelles aventures.

    Merci pour ce texte.



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