N’importe qui, sans aucun profil type, comme l’a parfaitement décrit le procureur François Molins, suite à l’acte barbare dans l’église normande, peut ériger en arme de guerre n’importe quel objet et transformer n’importe quel lieu paisible en scène de tragédie. C’est une manière de déstabiliser à la fois les citoyens et ceux qui les gouvernent. Cela conduit toujours à des stratégies autoritaires sous couvert d’une nécessaire sécurité, à des réactions violentes qui s’avéreront racistes et à la pire des catastrophes sur le plan de la cohésion humaine. Daech ne souhaite pas autre chose même s’il ne peut absolument pas prévoir ce qui sortira de toutes ces horreurs de déstabilisation. Mais peut leur importe car comme l’a si bien expliqué l’historien Yuval Noah Harari : « un terroriste ressemble à une mouche qui veut détruire un magasin de porcelaine. Petite, faible, la mouche est incapable de déplacer ne serait-ce qu’une simple tasse. Alors, elle trouve un éléphant, pénètre dans son oreille et bourdonne jusqu’à ce que, enragé, fou de peur et de colère, ce dernier saccage la boutique. » Effectivement depuis quinze ans les Etats-Unis et leurs alliés, dont la France, n’ont cessé de détruire le magasin de porcelaine du Proche-Orient…
Depuis lors toute cette zone, et bien plus, est devenu le terreau fertile du terrorisme d’aujourd’hui et ce au nom de l’islam. C’est en ce nom là que s’exerce toute cette stratégie nihiliste avec son lot d’attentats meurtriers et toujours plus abjects. Ce point particulier heurte tous ceux qui ont comme religion séculière et comme valeurs les droits de l’homme et la défense des minorités. Alors, il est parfaitement compréhensible de les voir s’évertuer à prouver que le « vrai islam » n’est pas cela. Il n’empêche que, comme l’a si bien dit l’écrivain Abdelwahab Meddeb, cet islamisme là est une maladie née dans le corps de l’autre : « L’islamisme est la maladie de l’islam, mais les germes sont dans le texte » et il rajoutait (en 2006) : « l’islamisme est un fascisme. Moins que jamais il faut se taire ».
Alors s’il est nécessaire de dire que notre ennemi n’est pas l’islam en soi, force est de constater que c’est bien à l’intérieur de celui-ci que ce « fascisme » se développe, se cache, s’abrite. Ce n’est pas en taisant cette vérité que nous protégerons les musulmans du risque qui pèse sur eux. C’est en l’affrontant sans craindre d’être traité de ceci ou cela par toutes les bien-pensances.
Cela commence par le dialogue bien évidemment avec les nombreux musulmans capables de le mener. En prenant acte que le dialogue n’a guère de sens avec qui considère, comme c’est le cas de la grande majorité des musulmans, que l’islam, fondé sur le Coran incréé, parole inaltérable de Dieu dans sa lettre même, rend inutile les autres religions, puisqu’il est la religion ultime.
Ensuite nous avons un impératif de reparler de la « cité » et de la vivre de façon authentique. Ce qui n’a rien à voir avec le « vivre ensemble » qui est justement, et pour notre malheur, la cité éclatée en une nébuleuse de communautés et d’individus isolés dont il s’agit d’empêcher, par une sorte de pacification, qu’ils empiètent les uns sur les autres. La cité exige non pas une juxtaposition pacifique proposée comme idéal collectif mais bien une « fusion » proposée comme avenir. Ce qui reste plus facile à dire qu’à faire tant aujourd’hui il n’y a pas de représentation commune entre un musulman de quartier populaire qui mange halal, fait ramadan et ne veux pas que sa soeur aille à la piscine et un militant LGBT participant à la gay pride et adorant la cochonnaille et la bière, entre une brillante étudiante qui va à l’université voilée refusant d’être examinée par un médecin homme et une féministe expressive luttant contre la quotidienne domination mâle et qui de surcroît admire les Femen, entre un lecteur de Michel Onfray et d’Alain Finkelkraut et un bon musulman pour qui l’Etat ne saurait être laïque et qui de plus est fervent admirateur des prédicateurs simplement stricts. S’il a été toujours possible de construire la cité malgré les différences idéologiques c’est bien plus compliqué dès que nous touchons, comme dans nos exemples, à une fracture d’ordre quasiment anthropologique. Mais il faut faire avec et ainsi qu’avec la bonne volonté de bon nombre de musulmans qui restent captifs d’un embarras au sujet de ce qui, dans la tradition, peut être conservé ou pas entre les exigences du passé et du présent.
Enfin, nous avons entendu,dans les messages suite à l’égorgement du père Jacques Hamel, beaucoup parler du pardon des offenses et de l’amour des ennemis. Ce refus de se laisser submerger par la haine est non seulement honorable mais essentiel. Mais il ne signifie pas le refus de voir que nous avons bien des ennemis. Et ne nous y trompons pas : aimer ses ennemis c’est d’abord convertir son propre cœur, le refus de se laisser entraîner dans la spirale de la vengeance et dans les violences. Aimer ses ennemis c’est commencer à se demander si celui qui se dit et se veut son ennemi n’a pas, aussi, quelque raison de l’être. Aimer ses ennemis c’est enfin s’efforcer de se corriger dans ses relations à autrui et de le faire sans culpabilité. Mais, dans tous les cas il n’y a aucune raison de ne pas ou de cesser de combattre. Nous devons combattre le fascisme islamiste avec courage, avec lucidité et discernement mais sans aucune haine. Et, dans ce combat, contrairement à ce que nous on dit certaines personnalités catholiques, la prière ne saurait être notre seule arme. Devant les faits inacceptables il ne tient désormais qu’à nous, dans notre engagement quotidien, de savoir en developper de nouvelles, adaptées au principe de vie qui malgré la grêle des démentis finira pas l’emporter.
Pasteur Jean-Paul Nuñez