« L’atmosphère fasciste devient de plus en plus irrespirable ». On pourrait croire cette citation extraite d’un tract antifasciste quelconque. Et pourtant il n’en est rien. Ces quelques mots sont l’œuvre de la plume de Pierre Chaillet, lorsqu’il écrivait en mai 1937, depuis Rome, à Henri de Lubac (1). Ces deux théologiens catholiques, pas spécialement « progressistes », ne ménageaient pas leurs mots quand il s’agissait de critiquer l’obéissance à l’État. Surtout vis-à-vis de la dérive autoritaire et fasciste de ce dernier. Alors, si ces deux hommes ont pu rentrer en résistance, quitte à se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de leur hiérarchie, qu’est-ce qui nous retient aujourd’hui de dénoncer l’injustice sociale ? Pourquoi un tel silence dans les milieux chrétiens ? Et surtout, pourquoi une telle injonction à choisir son camp, en cette période électorale, et sagement déposer son petit bout de papier dans l’urne, comme si ce geste représentait un acte moral, courageux et indispensable ?
Il nous semble urgent de réagir et de proposer une alternative chrétienne aux débats politiques actuels on ne peut plus stériles en terme d’espérance de changements sociaux.
La dérive autoritaire de l’État.
Pour celles et ceux qui en douteraient encore, il est bon de rappeler une chose : nous vivons actuellement sous un régime en pleine dérive autoritaire et sécuritaire. Le cadre de l’anti-terrorisme (au niveau légal) et l’évolution des technologies (au niveau scientifique) donnent une multitude de possibilités à l’État pour contrôler, ficher, surveiller, enfermer, contraindre nos concitoyens. Et il ne faudrait pas croire que ces différentes facettes du fonctionnement de l’État représentent un mal nécessaire à l’organisation de toute société. Non, nous observons ici des choix stratégiques, où la répression et les techniques militaires sont choisies sciemment, au détriment d’autres possibilités bien plus émancipatrices. La preuve, nous n’avons jamais été filmés par autant de caméras. Cela symbolise bien l’air du temps. On pourrait également s’interroger longuement sur le contexte de l’utilisation de l’État d’urgence et ses finalités. Comme le rappelait le sociologue Mathieu Rigouste en janvier 2015, au lendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo, il n’y a pas d’autre État, dans l’histoire, qui ait déployé la moitié de son armée sur le territoire national sans qu’il y ait un contexte de guerre (2).
Il nous semble clair que dans ce contexte, voter pour n’importe lequel des candidats ne changera rien au problème : tous vont utiliser l’arsenal juridique et scientifique pour légitimer leur pouvoir, voire le renforcer. Leurs prédécesseurs l’ont fait, pourquoi s’arrêteraient-ils soudainement ?
L’argument du vote anti-FN.
« Certes, mais voter c’est au moins faire barrage au FN et à l’extrême droite » nous rétorquera-ton. Il convient alors de rappeler une seconde chose : le problème, ce n’est pas que Marine Le Pen arrive au pouvoir, c’est qu’une partie de ses idées y sont déjà. En dehors de la dérive sécuritaire déjà évoquée, il suffit de suivre les débats publics qui existent en cette période électorale : l’identité nationale, l’accueil des migrants, la défense de la violence policière, les réformes libérales du travail... Comme le faisait judicieusement remarquer le groupe parisien du SCALP, lors de son auto-dissolution en 2013 : si le FN n’a pas forcément réussi à arriver au pouvoir, il a réussi à diffuser ses idées au sein de l’ensemble des partis (3).
L’élection, le spectacle, la soumission.
Par ailleurs, puisqu’on parle de l’actualité, il est important de tenter de prendre du recul pour observer la mascarade spectaculaire que représente cette élection présidentielle. Vous l’aurez remarqué : la plupart des courants politiques qui ont des candidats favoris selon les sondages d’opinions sont liés à des scandales financiers. Nul besoin de s’attarder sur l’aspect révoltant de ces derniers. Ce qui est surprenant, c’est que dans les milieux chrétiens, ça ne soit pas forcément quelque chose qui oriente vers l’abstention. Serait-ce par esprit d’obéissance ? Mais d’obéissance à qui au juste ? A tel ou tel candidat ? Et cela, au mépris d’une position éthique et responsable ?
Nous souhaitons donc aujourd’hui affirmer ceci : il est éthique de s’abstenir de voter. Le vote n’est pas une manière de « faire de la politique » mais un acte éphémère, qui demande très peu d’engagement. On peut tout à fait s’en passer. Il en va de la responsabilité individuelle de chacune et chacun de ne pas donner sa Voix à un homme ou une femme qui participe à un projet politique qui n’est pas en accord avec le respect et la défense de chaque vie humaine.
Le 23 avril et le 7 mai, abstenons-nous !
Quelques chrétiens abstentionnistes