Martin Luther, dont les protestants vont fêter, comme il se doit, le 500ème anniversaire de l’affichage de ses thèses flétrissant le commerce des indulgences, a apporté une contribution originale, osée et innovante pour son époque à la liberté de conscience. Certains iront même à dire qu’il en a le premier posé les bases… Qu’importe, sa vie, pas toujours exemplaire au demeurant dans ses choix politiques, n’en fut pas moins un témoignage de cette liberté qu’il convient de revendiquer encore et toujours : « L’âme n’est pas soumise au pouvoir de César, disait-il, il ne peut ni l’instruire, ni la guider, ni la tuer, ni lui donner vie, ni la lier, ni la délier, ni la juger, ni la condamner, ni la retenir, ni l’abandonner… »
Pour Luther sans aucun doute, la conscience est assimilée au for intérieur, au siège des convictions personnelles, morales et éthiques, de l’individu. La liberté de conscience, c’est donc d’abord la liberté de chacun d’adhérer aux convictions de son choix.
Il est important de le rappeler en ces temps où l’insulte et le mépris s’énoncent clairement, depuis quelques jours, envers tous ceux qui, dans leur for intérieur et au nom de la liberté de conscience, ont fait le choix, pour des raisons diverses, de s’abstenir au 2ème tour des élections présidentielles.
J’en suis et je le revendique.
C’est une liberté que j’assume pleinement. A vrai dire depuis longtemps mon bulletin est blanc et je n’en ai aucune honte. Et pour cause, l’abstention électorale n’a rien de honteux puisqu’elle est l’une des modalités d’exercice de sa citoyenneté, parmi une infinité d’autres, correspondant à la multiplicité des droits. Et qu’il ne prenne à personne l’idée de dire qu’en cela je n’accomplis pas mon « devoir de citoyen ». Mon devoir de citoyen je l’exerce autant que faire se peut et depuis fort longtemps. Mais, il ne s’est jamais résumé à simplement glisser un bout de papier dans une urne. La citoyenneté, c’est tout ce que chacun peut faire, à titre personnel, pour défendre les libertés publiques, les droits sociaux et la démocratie contre les abus des autorités étatiques.
La démocratie mérite mieux que de se donner bonne conscience à travers un vote quel qu’il soit.
J’entends évidemment tous ceux qui diront que beaucoup se sont battus pour le droit de vote. Certes c’est vrai et c’est tant mieux. Mais cela n’entraîne aucune obligation morale. Beaucoup ce sont battus pour le droit de grève et de manifester mais cela n’entraine aucune obligation à arrêter son travail. Beaucoup ce sont battus pour le droit d’aller et venir mais nous pouvons apprécier le fait d’être casanier. Beaucoup se sont battus pour le droit à la santé mais il n’y aucune raison d’être malade…Beaucoup ce sont battus pour le droit de propriété mais il n’y aucune obligation à devenir propriétaire. Alors oui, incontestablement, fruits de luttes, le droit de vote ouvre une liberté : celle de voter ou de ne pas voter. Si le citoyen opte pour le vote il a la liberté de voter pour le candidat de son choix, de voter blanc ou de ne pas y prendre part. Autrement dit, s’abstenir, c’est bien exercer son droit de vote, mais d’une manière tout aussi respectable que celle des autres.
Quand au fait d’assimiler la démocratie à l’État de droit et au vote, qui ne serait pas respecté par l’abstention, cela entretient une confusion générale sur la nature des régimes aujourd’hui en place dans le monde. Convenons au moins qu’il y a de nombreux régimes où les citoyens votent, et même librement, mais où l’État de droit n’est, pour le malheur des peuples, en rien effectif.
Reste, pour l’heure, l’élection présidentielle française qui oppose Emmanuel Macron à Marine Le Pen. C’est bien cette élection qui génère sont lot d’anathèmes, tous aussi stupides les uns que les autres, à l’encontre de ceux qui font le choix de l’abstention. Citons par exemple celui de l’écrivain Serge Joncour que veut que : « Ne pas aller voter dans de telles circonstances c’est laisser aux autres la responsabilité. C’est donc faire le choix d’être irresponsable. » Ou encore le mot violent du dessinateur Xavier Gorce : « qui ne vote pas Macron est un salaud. Point. » Jusqu’à l’idiotie de l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoe : « Vous savez, dans les années 30 en Allemagne, l’extrême gauche n’a pas voulu choisir entre les sociaux-démocrates et les nazis. Hitler a été élu par le suffrage universel. »
Il est intéressant de constater combien, autrefois réputés honteux, le vote FN ne l’est plus tout à fait. Ce qui abasourdissait en 2002 n’empêche même pas d’aller faire la fête dans un café de renom le soir du premier tour. Parallèlement, en revanche, c’est désormais l’abstention qui demeure frappée du sceau de l’infamie. S’abstenir revient à se rendre coupable du crime de lèse-démocratie et même de faire le lit du « fascisme ». C’est ce que nous apprend présentement la propagande électorale particulièrement violente sur les réseaux sociaux.
Arrêtons avec ces clichés, ces balivernes et autres billevesées. D’abord en rappelant que dans les années 1920 et 1930, l’accession au pouvoir des régimes fascistes a été favorisée et soutenue par de larges fractions des oligarchies nationales, en particulier par les grands groupes industriels. Quand Bertrand Delanoë avance que « dans les années 30 en Allemagne, l’extrême gauche n’a pas voulu choisir entre les sociaux-démocrates et les nazis. Hitler a été élu par le suffrage universel. » Il oublie que le fascisme est avant tout l’expression de la contre révolution. C’est l’écrasement sanglant en 1919 et 1923 de la révolution allemande, c’est l’assassinat des révolutionnaires comme Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, par la gauche de l’appareil politique de la bourgeoisie, la social-démocratie (et oui) qui a permis l’avènement du nazisme. C’est la répression de la classe ouvrière après l’échec du mouvement des occupations d’usines à l’automne 1920 par les forces démocratiques du gouvernement Nitti (et oui) qui a ouvert la voie au fascisme italien…
Mais surtout arrêtons de dire que l’abstention fait le lit du Front National. D’une part l’abstention ne saura jamais faire ce qu’a fait François Mitterrand, et ses plus puissants amis et conseillers, dans la décision d’installer le Front national au plus haut niveau imaginable de la représentation politique afin de se maintenir coûte que coûte au pouvoir, malgré une impopularité évidente.
D’autre part, aujourd’hui, celles et ceux qui font le lit du Front National sont d’abord celles et ceux qui ont voté et qui vont voter pour elle au deuxième tour de l’élection présidentielle. Et certainement pas les abstentionnistes. Par contre, ce sont aussi, et peut-être principalement, celles et ceux qui, dirigeant à un titre ou à un autre notre pays depuis trente-cinq ans, ont ruiné la confiance de nombreux électeurs et concitoyens en ne les aidant pas à faire face aux effets de la mondialisation (stagnation ou déflation salariale, précarisation, chômage, fin de l’ascension sociale) et aux problèmes quotidien (quartiers difficiles, problèmes de logement, déshérence de l’école, instabilité démographique…).
Dans tous les cas, ceux qui permettent l’avénement du FN ce ne sont pas les abstentionnistes mais ceux qui au nom d’une posture de supériorité morale de la France s’évertuent à ne pas prendre au sérieux ce que disent les classes populaires de ce pays, les gens « ordinaire, les gens de peu, les diminués du social les sans parts…
Le 7 mai, il est improbable que Marine Le Pen arrive au pouvoir. Mais, ce n’est pas impossible si l’on se souvient du précédent de 2005 où malgré l’écart des sondages initiaux donnant un niveau d’au moins 65% pour le Oui celui-ci se retrouva minoritaire en quelques jours. Donc effectivement tout peut arriver. Mais je fais parti de ceux qui pensent, et c’est ma libre opinion qui vaut celles des autres, qu’il ne peut rien arriver de pire au FN que d’accéder au pouvoir. Le fiasco sera retentissant. Il n’est pas sérieux de craindre que le FN au pouvoir instaure un IIIèm Reich à la française. C’est absurde. Cela l’est d’autant plus que partout, dès qu’ils doivent gérer, les partis « populistes » actuels renient leur programme, abandonnent une partie de leurs oripeaux idéologiques et se reconvertissent en aile droite ultra-libérale et pro-européenne. Quoiqu’elle fasse, avec son programme mensonger et irréalisable, il en sera de même pour Marine Le Pen.
En tout cas, ce risque ne me poussera pas à choisir Emmanuel Macron. A mes yeux, il poursuit la logique implacable du capitalisme qui transforme l’Homme et relègue la politique à un simple instrument de soutien aux intérêts privés. C’est la mort programmée et annoncée de toutes les conquêtes sociales arrachées de haute lutte contre le grand patronat depuis la révolution industrielle. C’est l’abandon de la voix de la France au profit d’intérêts financiers qui veulent sa perte et y réussissent fort bien jusqu’ici. D’ailleurs la Bourse ne s’y est pas trompé en prennent 4 points dès le lendemain des résultats du premier tour.
Mais je vais encore plus loin dans mon opinion.
Je fais parti de ceux qui considèrent que derrière le néolibéralisme, qu’incarne si bien Emmanuel Macron se cache un extrémisme. Celui qui frappe chaque sphère de nos sociétés et chaque instant de notre époque. Depuis longtemps déjà le néolibéralisme a assujetti les gouvernements des pays démocratiques mais aussi chaque parcelle de notre réflexion. L’État est maintenant au service de l’économie et de la finance qui le traitent en subordonné et lui commandent jusqu’à la mise en péril du bien commun.
Mon abstention est un choix éminemment politique qui fait d’autant plus sens, en ces temps où on voudrait imposer à chacun une discipline contraire à la liberté de pensée de conscience et d’opinion. La liberté de se déterminer en toute indépendance, en dehors de toute pression, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne, ne se négocie sous aucun prétexte.
Au final, que chacun fasse ce qu’il lui semble bon. Respectons ces choix : soit voter en leur âme et conscience pour celui ou celle qu’ils considèrent comme le moindre danger, entre le néolibéral décomplexé Macron et la démagogue nationaliste Le Pen ; soit s’abstenir ou voter blanc afin de marquer leur profond rejet de ces deux faces d’une même désillusion.
Et, ensuite, quel que soit le résultat des élections c’est à chacun, puisque nous sommes encore dans un État de droit, de devenir garant de la légalité et de s’investir comme il se doit sur le terrain, en opposant, dans le rejet de toute forme de violence, la force du droit à des gouvernements qui se fourvoient…
Pasteur Jean-Paul Nuñez