Il est possible d’avoir des avis différents sur la question mais le fait est que ce qu’il est désormais convenu d’appeler la République catalane est déjà, et depuis longtemps, une réalité par la volonté d’une grande partie de son peuple. Celui-ci, depuis des années, au quotidien, dans les rues et les urnes, a construit une conscience nationale, collective et transversale dans toutes les strates de la population. A l’exemple des plus de 700 maires (sur 946) qui ont manifesté le 16 septembre dernier pour que le referendum d’autodétermination puisse avoir lieu. C’est cette lutte qui a produit le processus d’indépendance aujourd’hui proclamé.
Sans remonter a la suspension du statut d’autonomie de la Catalogne par le Tribunal constitutionnel en 2010 qui a constitué le départ de ce processus, force est de constater que l’indépendance, proclamé par le parlement catalan le 27 octobre, a son origine dans un mandat populaire exprimé dans les élections de 2015. Certes ce mandat n’a pas été approuvée par la majorité de la population. Mais les partis indépendantistes ont eu 48% et une majorité de sièges au parlement. Au même titre, par exemple, le président français, élu avec 44% des inscrits, et, ce qu’il fera, affectera beaucoup plus de citoyens que ceux qui se sentaient concernés par la consultation électorale. Incontestablement, le peuple de Catalogne, aux élections autonomes de 2015, a donné la victoire à plusieurs partis qui avaient déployé un programme de contenu clairement indépendantiste. Ce bloc, au parlement, a développé, depuis, ce programme en élaborant les lois nécessaires pour appliquer l’indépendance promise électoralement à l’échéance de 2018. Il y a donc, dans le cas de la Catalogne, une légitimité d’origine. Celle-ci n’a jamais été empêché si ce n’est en septembre, à la veille du referendum. Peut-être parce que la norme coutumière estime, au fond, que les promesses des campagnes électorales ne sont que du vent jamais tenu.
Dans tous les cas, ceux qui aujourd’hui sont arrêtés et envoyés en prison le sont simplement parce qu’ils ont mis en œuvre leurs promesses électorales.
De fait ce sont quelques centaines de milliers d’électeurs qui sont conjointement responsables de ce que leurs représentants ont fait. Et puisque désormais ces représentants finissent en prison, ils sont, n’en déplaise à quiconque, des prisonniers politiques dans une Europe démocratique.
Si l’ordre constitutionnel mis en œuvre par le gouvernement de Madrid a pour seule issue que d’ emprisonner les élus qui représentent la moitié des électeurs, cela montre ce qu’est réellement le régime espagnol. Comme l’a d’ailleurs déclaré l’ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis, « une constitution dans laquelle des élus qui poursuivent pacifiquement un programme politique sont emprisonnés ne peut être démocratique ».
Effectivement, ces prisonniers politiques ne le sont pas simplement pour un combat de « drapeaux » ». La majorité des catalans ne veulent pas se séparer de l’Espagne en tant que nation, car ils entretiennent des liens affectifs et culturels forts avec elle. Pour autant, depuis des années, la majorité d’entre eux veulent se séparer du « régime » espagnol. C’est à dire, avant tout, d’un conglomérat de puissances qui contrôle le pays à travers un réseau complexe d’intérêts. Et le processus d’indépendance, qui se traduit par des centaines de milliers de personnes qui sont désireux de désobéir pacifiquement, est devenu un vrai problème parce qu’il attaque directement l’existence de ce régime. Et, ce processus ébranle d’autant plus les fondements de l’État espagnol qu’il a su , à travers la dynamique syndicale, incorporer les conflits de classe. La Catalogne vient de vivre deux grèves générales dans un peu plus d’un mois avec un large soutien social : syndicats alternatifs, entités sociales et souverainistes, mouvement des étudiants, comités pour la défense de la République ...
Mais au delà de l’impact considérable sur l’ activité économique et sociale c’est une récente déclaration des principales organisations syndicalistes des diverses autonomies de l’Etat espagnol qui exprime le mieux ce qui se passe en ce moment. Outre que ces syndicats condamnent de façon la plus énergique l’application de l’ article 155 de la constitution ils critiquent le rejet d’ un « gouvernement légitime et démocratiquement élu » ce qui pour eux est un véritable coup d’état pour la démocratie. Pour ces syndicats, la persécution judiciaire et la répression contre les citoyens catalans conduit à un processus de conséquences politiques importantes, qui violent les droits civils fondamentaux , tels que la liberté d’expression et de manifestation. Pour eux le promoteur de cette escalade est « le gouvernement le plus corrompu d’Europe » avec « le soutien complice, soit par action, soit par omission, des autres forces politiques otages du régime de 78 et de sa monarchie anachronique ». Tous ces signataires sont solidaires du peuple catalan qui « fait face à un Etat profondément antidémocratique qui refuse depuis plus de dix ans de dialoguer et de chercher une solution négociée au conflit ». En conséquence ils continueront à soutenir « les décisions que le peuple de Catalogne prend librement, démocratiquement et pacifiquement ». Pour dire combien, les catalans ne sont pas seuls et que toute l’Espagne n’est pas contre le processus.
Depuis la prison, Oriol Junqueras, vice-président du Parlement, a eu ces mots : « (..) Le verset de la Bible dit : « Seigneur, pardonne-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ». Pour cela, oublions toute la souffrance qu’ils veulent nous infliger et ne nous laissons pas entraîner par un autre sentiment que l’amour de la liberté. Nous devons consacrer toute notre énergie à défendre la démocratie, à organiser la défense des droits civils et politiques, à œuvrer pour la liberté, à continuer de travailler pour que les droits civils et politiques de chaque citoyen de la Catalogne soient respectés. Ils sont nés là où ils sont nés, ils parlent la langue qu’ils parlent, ils se sentent catalan, espagnol, arabe ou argentin, ou peut-être tout en même temps. Ce combat ne concerne pas les drapeaux, c’est la démocratie, qui va permettre à la voix de la citoyenneté d’être respectée. Et nous devons continuer à le faire, avec détermination, courage mais aussi avec le respect absolu des idées de tous et façon civique, en répudiant toute expression de violence…
(..) Et, enfin, un message à tous les habitants de la Catalogne… Donnons l’exemple en votant massivement, comme nous l’avons fait le 1er octobre, malgré les matraques et la brutalité policière contre les citoyens qui voulaient voter. Eh bien maintenant, votons à nouveau, car pour nous les urnes sont sacrées et la meilleure réponse que nous puissions donner est une victoire de la démocratie le 21 décembre. Nous travaillons sans repos, continuons, persévérons, avec une haute tête et une âme heureuse.
Un câlin fraternel pour tous les Catalans… Nous allons gagner ! N’en doutez pas, si difficile que soit la route, car la cause que nous représentons est celle de la liberté et de la fraternité entre tous les peuples… »
Ces mots nous montrent que dans le monde de la civilisation capitaliste une nouvelle république démocratique ne peut pas être une mauvaise nouvelle. Surtout si cela sert à briser une monarchie, installée par une dictature, et son système financier outrancier. En plus, il semble que cette république n’ait pas l’intention de perdre son horizon universel. Il est vrai que cette Catalogne « indépendantiste » a organisé le 18 février dernier la plus grande manifestation d’Europe à ce jour de soutien aux réfugiés au cri de ; « Nostra casa vostra casa ».
La solidarité avec la Catalogne est essentielle aujourd’hui, car ce que nous nous trouvons n’est pas seulement une agression contre une quelconque souveraineté catalane, mais aussi une régression et une réduction généralisée des libertés démocratiques de toutes sortes partout et bien au-delà de la Catalogne.
Toutes les forces de rupture, souverainiste et anticapitaliste des peuples d’Europe devraient en prendre acte et redoubler de solidarité avec le peuple catalan. Et peut-être même, à partir de cet exemple, de penser et d’impulser ,d’abord et avant tout, un processus constituant dans nos pays respectifs…
Jean-Paul Nuñez et Stéphane Lavignotte