« La charité n’est pas forcément là où elle s’exhibe ; elle est aussi cachée dans l’humble service abstrait des postes, de la sécurité sociale ; elle est bien souvent le caché du social », Paul Ricoeur, Le socius et le prochain (1954).
Dans cette citation, issue d’un des plus fameux textes de Paul Ricoeur, protestant philosophe, que connaît forcément le président de la République, il nous est rappelé que le souci du prochain ne passe pas uniquement par la relation interpersonnelle mais aussi par les institutions et particulièrement par les services publics. C’est pourquoi nous soutenons les initiatives prises par les syndicats de la fonction publique unis – de la CFDT à Solidaires – le jeudi 9 mai.
Sur le terrain de nos engagements professionnels, politiques, associatifs, diaconaux, dans nos vies d’usagers des services publics, nous voyons avancer petit à petit la dés-administration de notre pays, que ne va qu’accentuer la mal nommée « loi de transformation de la fonction publique ».
Elle touche chacun et chacune, atteint violemment les plus faibles de notre société. Nous sommes de plus en plus laissés seuls face à des sites internet saturés – on peut mettre plus d’un an pour obtenir un rendez-vous à la préfecture de Bobigny pour renouveler son titre de séjour – là où rien ne remplace l’échange interpersonnel. La ruralité et les banlieues populaires voient fermer petit à petit tous les services publics, cet abandon est une des causes profondes de la révolte des Gilets jaunes comme des émeutes des quartiers populaires. Les maisons des services publics proposées par le gouvernement n’ont aucun sens s’il n’y a pas des agents du service public compétents chacun dans leur domaine pour les animer.
La nature et la santé sont les premières à en faire les frais : de Nactalis aux pollutions chimiques du bassin de Lacq (64), ces scandales environnementaux et sanitaires sont les fruits du remplacement des contrôles par les services de l’État par un bien illusoire auto-contrôle par les entreprises elles-mêmes. Quand dans un département, il n’y a que dix agents pour la consommation, la concurrence et la répression des fraudes, comment peut-on espérer que les règles communes soient respectées ?
Dans le texte « Le paradoxe politique », Paul Ricoeur met en avant le paradoxe propre à la politique et à l’État de voir en même temps progresser leur rationnalité et leur irrationnalité. Il faut donc des règles et des personnes pour les vérifier pour encadrer cette irrationalité. Le recul annoncé du nombre de personnels au statut de fonctionnaire au profit de personnes en contrat privé, voire précaires, notamment dans les collectivités locales, accentue les risques de corruption, d’embauches sur des bases clientélistes, alors que la France est déjà mal classée dans les études internationales en la matière.
Bien sûr, comme toute institution, la fonction publique doit se réformer et se réformer sans cesse, pour reprendre un des principes du protestantisme. Les statuts des personnels doivent être revus, les missions doivent accompagner les nouveaux modes de vie… Ces transformations – que les syndicats sont les premiers à proposer - ne doivent pas broyer la fonction publique et ses agents, elles doivent au contraire renforcer leur présence, leurs possibilités d’actions au service de tous et toutes.
La défense des services publics nous concerne toutes et tous. La marchandisation sans limite du monde écrase la nature, les humains et nos institutions communes. Il y a urgence à y mettre un arrêt.
Olivier Abel, philosophe ; Jean Alexandre ; pasteur, Roberto Beltrami, pasteur de l’Eglise Protestante Unie Pays d’Aubagne et de l’Etoile/La Ciotat-Cassis-Ceyreste (13) ; Étienne Barral ; Charlotte Brosse-Barral, étudiante en théologie ; Kévin Buton-Maquet, Assistant en éthique à la Faculté de théologie de Genève ; Michel Cauzid, Joan Charras-Sancho, docteure en théologie, Union des églises protestantes d’Alsace-Lorraine ; Jean-Luc Debard ; Jean-Luc Duchêne ; Marie-Noële Duchêne, membres de la Commune Paris Sud du Christianisme social ; Jean-Marc Dupeux, pasteur retraité ; Mathieu Gervais, ancien président du Mouvement du christianisme social ; Bernard Guérin, retraité ; Xavier Gravend-Tirole, Sandrine Landeau, pasteure à Gaillard et Genève ; Serge Gaden ; Alain Gross, dirigeant d’entreprises ; Benoit Ingelaere ; Philippe Kabongo Mbaya, président du Mouvement du christianisme social ; Jean-Pierre Nizet, pasteur de l’Eglise Protestante unie de l’Albigeois ; Stéphane Lavignotte, théologien, coordinateur de la Maison Ouverte (Mission populaire À Montreuil) ; Edgard Moscherosch ; Renée Piettre ; Jean-Pierre Rive, ancien président de la commission église et société de la Fédération protestante ; Patrice ROLIN, animateur de L’Atelier protestant ; David Steward, pasteur retraité ; Lionel Thébaud, étudiant en théologie ; Mireille Urbain ; Patrick van Dieren, éditeur ; Philippe Verseils, secrétaire général de la Mission Populaire Evangélique de France ; Philippe Vinsonneau, sociologue de la santé ; Philippe Wender, vice-président du Mouvement du Christianisme social