De fait, Jésus-Christ, tout comme les juifs de son époque, voyait le Royaume de Dieu comme une réparation des injustices de ce monde (cf. la parabole du riche et du pauvre Lazare, Luc 16, 19-31). Ceux qui avaient été pauvres et malchanceux au cours de cette vie-ci devaient, par une forme de compensation, être favorisés dans le Royaume. Et inversement, les riches et les puissants devaient, par un juste retour des choses, être défavorisés dans le Royaume. C’est exactement ce que dit le Magnificat de la Vierge Marie (Luc 2, 52-53).
Ainsi, selon la logique du Royaume, ceux qui ont eu la chance de pouvoir faire de longues études, puis un travail intéressant et bien payé devraient recevoir une retraite modeste. Et inversement ceux qui ont travaillé à la chaîne dès 18 ans en étant rémunérés au SMIC devraient recevoir une retraite élevée dès 55 ans. Et ce serait d’autant plus légitime qu’ils meurent en général 15 ans avant les cadres supérieurs et qu’ils ont un compte en banque moins bien garni.
Financer les retraites par les impôts et la CSG
Aujourd’hui, en France, en contradiction flagrante avec la logique du Royaume, plus on a gagné pendant sa vie professionnelle, plus on a une retraite élevée. Et ce pour une raison très simple : les retraites sont proportionnelles aux salaires reçus parce qu’elles sont alimentées par des cotisations (payées par les salariés et les entreprises qui les emploient) proportionnelles aux salaires versés. Autrement dit, les caisses de retraite sont alimentées par une taxe sur le travail. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas une manière d’encourager l’emploi.
Si l’on voulait appliquer la logique du Royaume, il faudrait donc trouver un autre mode de financement des retraites. Pourquoi la retraite ne pourrait-elle pas, comme les Allocations Familiales et autres prestations sociales, être financée par la CSG et par les impôts ? Elle deviendrait ainsi une prestation sociale comme les autres. Elle pourrait être égale pour tous ou, mieux encore, modulée en fonction des revenus et de la richesse de chacun (comme c’est le cas pour certaines prestations sociales). Elle serait faible pour les riches et élevée pour les pauvres.
Il est certes normal de rémunérer un travail en fonction de ses caractéristiques, mais il n’y a aucune raison de rémunérer les retraités en fonction de leurs rémunérations professionnelles antérieures. Un polytechnicien retraité n’est pas plus productif qu’un ouvrier retraité. Il n’y a aucune raison pour qu’il ait une retraite beaucoup plus élevée et ce d’autant plus qu’il peut profiter des économies qu’il a pu réaliser grâce à son salaire élevé. De même, il est tout à fait injuste que, grâce aux pensions de réversion, la veuve d’un cadre supérieur touche (même si elle n’a jamais travaillé) davantage qu’une femme célibataire qui a travaillé toute sa vie comme ouvrière. Il serait normal que les pensions de réversion versées aux veufs et aux veuves soient remplacées par une allocation égalitaire financée par l’impôt et la CSG.
Il faut donc changer le mode de financement des retraites. Il faudrait qu’elles soient financées par le budget social, et donc par les impôts et la CSG. D’ailleurs, même Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avaient fait des propositions dans ce sens. L’Irlande, la Nouvelle Zélande, le Danemark, les Pays-Bas ont adopté ce système. Et notons-le, financer les caisses de retraite par la CSG et les impôts (plutôt que par des cotisations sur le travail et les salaires) serait avantageux en particulier pour les entreprises et leurs actionnaires ! En effet l’assiette de la CSG et des impôts est beaucoup plus large que celle des cotisations sur les salaires actuellement en vigueur. Ainsi, puisqu’elles ne seront plus les seules à être imposées, les entreprises seront globalement moins taxées.
Les pensions versées aux personnes âgées, tout comme l’instruction des jeunes, le soutien aux familles nombreuses, les secours assurés par les pompiers et le Samu etc… relèvent d’un devoir de solidarité qui ; par le biais des impôts et de la CSG, doit être supporté par l’ensemble du pays. Le fait de devenir vieux et d’avoir droit de ce fait à une pension ne concerne pas seulement ceux qui ont travaillé. Ce n’est pas un risque professionnel, comme le chômage et les accidents du travail. Il n’y a donc aucune raison pour qu’ils soient couverts par des cotisations versées seulement par les salariés et leurs employeurs. Puisque les pensions de retraite sont dues à tous (même si on les module selon la logique du Royaume), elles doivent être financées par un impôt sur tous les revenus. Et ce qu’il faut taxer en priorité, ce n’est bien sûr pas le travail, mais bien plutôt la fructification rapide des patrimoines financiers, entre autre par la spéculation, et les bénéfices des entreprises lorsqu’ils sont élevés.
Et j’ajoute que si l’on calculait le montant des retraites selon la justice et l’Evangile du Royaume, le montant global des retraites versées serait bien moindre, les caisses de retraite seraient renflouées et on pourrait prendre sa retraite à 60 ans. Ainsi, dès 60 ans, on vivrait dans l’antichambre du Royaume de Dieu !
Alain Houziaux, pasteur de l’Eglise Réformée de France, auteur de Christianisme et conviction politique, trente questions impertinentes, DDB 2008.