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L’UNION EUROPEENNE ET LA GUERRE EN UKRAINE

jeudi 10 mars 2022, par :

Et si la guerre d’agression de la Russie en Ukraine cachait une autre dimension de ce même conflit ? Quel est actuellement l’état de la Russie dans le monde ? Quel sens peut-on attribuer à ses efforts de repositionnement international ?
Ces questions et d’autres encore se posent, tant la Russie de Poutine ne semble pas sortie d’une nostalgie impériale, un deuil impossible à surmonter en même temps que le phantasme d’un "espace vital" d’une Russie cernée par les USA, la Chine et l’UE.

Il y a guerre et guerre
Ni la recherche de ressources naturelles, ni le commerce comme outil de puissance mondiale, ne paraissent clairement dicter à la Russie ses ambitions ou préoccupations stratégiques. Aux propos de Bruno Le Maire, ministre français de l’économie, Dmitri Medvedev, l’ancien président russe, a rétorqué que la guerre économique pouvait dégénérer en guerre réelle. A chaque guerre donc sa nature et sa portée. Les protagonistes n’ont pas toujours la même perception, la même définition, de ces phénomènes. Ce décalage est assez significatif !
La Chine, l’Inde ou le Brésil sont-ils des alliés ou des concurrents de la Russie ? Certes la Russie pèse par certaines de ses ressources naturelles, les hydrocarbures notamment. Mais au regard du dynamisme économique envahissant qui la caractérise, la Chine se distingue ; sous ce rapport, elle n’a rien à craindre face à la Russie.

Une belligérance différée
Pour son économie intérieure et ses échanges dans le monde, la Chine s’est lancée dans une course irrésistible des matières premières de la planète. Souvent avec brutalité, mais toujours avec une subtilité et une intelligence de ses intérêts. Indubitablement, elle est le leader parmi les puissances économiques émergeantes. Sa montée semble inexorable. La Chine fait plus que défier les USA.
Si les USA tiennent tête encore à la Chine, la place respective de l’UE et de la Russie dans cette configuration d’hégémonies est cependant variable. En revanche, les USA ne peuvent pas garder longtemps leur rang de première puissance économique sans une alliance soit avec la Chine soit avec l’UE. Différentes tentatives de partenariat avec cette dernière n’ont pas réussi. N’ayant pas pu aligner l’UE derrière eux, les américains la boudent, la torpillent même par l’entremise du Royaume uni. Qu’était-ce en effet le brexit, sinon une pression sur l’Europe, à défaut de son articulation à la suprématie américaine dans ce domaine ?

La Russie intervient en Ukraine pour éviter d’être « pré-assiégée » de toutes parts par l’Occident qui, à terme, la vassaliserait. C’est toute la portée des plans visant l’expansion de l’OTAN. L’objectif final est que jamais l’URSS ne se reconstruise sous quelle que forme que ce soit. L’élargissement de l’UE, d’un côté ; expansion de l’OTAN, de l’autre : ce mouvement se déploie comme une stratégie globale. Pour la Russie, c’est plus qu’une perception de menace.
L’explication des événements en cours relève de cela : la raison brandie par Moscou vis-à-vis de l’Ukraine plonge l’Europe dans une angoisse colossale. Cela d’autant qu’il s’agit d’une suite de faits de reconquête, depuis la Géorgie, la Crimée et le Donbass ! Face à ce danger, vu que l’Europe ne peut compter sur les USA comme lors des grands conflits mondiaux du siècle dernier, la question sécuritaire qui se pose à l’Europe est fondamentalement celle de son devenir même. La Russie peut-elle compromettre le projet de l’UE, par une forme de finlandisation de son espace ? Inversement, une Europe forte et dynamique ne conduirait-elle pas à une vassalisation de la Russie ? Compte tenu de sa singularité historique, ses capacités stratégiques, sa dissuasion nucléaire imprévisible, l’interrogation paraît déplacée et bien audacieuse. Cela a le mérite de clarifier le fond du sujet.

L’Union européenne qui vient
En occupant l’Ukraine, Poutine semble croire à une impuissance durable des Européens, à l’incapacité stratégique de L’UE. Mais la conflictualité en cours ne va-t-elle pas raviver un sentiment de menace imminent, qui militerait en faveur d’une union politique renforcée de l’UE, pour des plans diplomatiques et stratégiques à la hauteur des nouveaux défis mondiaux ?
L’UE n’est-elle pas obligée à terme de se prendre en charge, de s’affirmer comme puissance mondiale identifiable, autonome, disposant de ses propres attributs de défense et de dissuasion nécessaire ? Donald Trump a toujours cru que, pour son pays, l’UE devenue une puissance économique et stratégique, était tout aussi redoutable que la Chine.
A terme, l’UE telle qu’elle est pourra connaitre une profonde évolution, lui permettant de surmonter les impasses et inerties politiques d’aujourd’hui, les contradictions économiques, la faiblesse diplomatique, les paralysies militaire ou stratégique. Comment cependant vaincre les particularismes historiques – souvent des identités de faiblesse —, ces souverainetés nationales qui freinent l’Europe ? Comment affirmer et faire respecter une ambition diplomatique et militaire qui serait digne du destin même de l’UE ? Mais de quelle Europe s’agit-il ? La question ne cessera peut-être jamais d’être posée.
Le théâtre africain (RDC, RCA, Mali, en particulier), a montré que les dirigeants européens ont tenté d’apprivoiser ce défi. La rivalité avec la Chine sur ce continent est sans doute comparable à ce que ressentent les autorités russes face à l’influence de l’UE en Europe centrale ou dans les anciennes Républiques soviétiques. Quel siècle des recompositions géostratégiques !

Le moment actuel est un tournant décisif. Il serait inconcevable que l’on n’en tire quelques conclusions. Le "vice de fabrication" de l’UE à sa création révèle encore mieux ses limites et leurs conséquences. Après le brexit, c’est sur son flanc oriental que tout se joue ; c’est en Ukraine et en Europe Centrale que sont menacée la sécurité et la prospérité de chaque pays de l’UE. Les Ukrainiens ne le répètent pas seulement comme argument en vue d’obtenir aides et soutiens qui leur manquent. Si cette exigence n’est pas prise en charge, l’UE va plus ressembler à une vaste velléité tragi-comique, une bureaucratie de nul intérêt politique, de nulle signification parmi les puissances motrices de la planète.
En travaillant à l’élargissement de l’OTAN, les Occidentaux ont poussé Poutine à la faute. En revanche, la guerre que ce dernier mène en Ukraine, son obsession impériale visant les anciennes Républiques soviétiques, n’ont rien à voir avec les "normalisations" de jadis en Hongrie ou en Tchécoslovaquie. On peut d’ailleurs noter que la propagande de Poutine se réfère au triomphe sur les Nazis plutôt qu’aux écrasements des libertés des peuples sous l’URSS.
Mieux qu’avant, l’Europe prend ainsi conscience de l’urgence sécuritaire de l’heure. Car face à la Russie, ses capacités de dissuasion sont, hors l’OTAN, tout simplement inexistantes. Les opinions publiques à l’ouest de l’Europe se mobilisent. Les particuliers n’hésitent pas à aller au-devant de réfugiés ukrainiens en Pologne ou en Roumanie. Des beaux gestes d’humanité, qui témoignent de la conscience des enjeux du conflit en cours pour le devenir de l’Europe.
Toutefois, les retombées de la guerre « économique » auront bientôt leur impact pour le quotidien de chacun.e. Que deviendra alors l’actuel consensus, qui ne cache ni la hargne ni la détermination d’en finir avec l’autocratie de Moscou ?

Poutine, l’européen...
Vu d’Afrique, Poutine n’est pas une chance. Puisque l’Europe a plus d’ennemis et de concurrents que d’alliés, ne va-t-elle pas être encore plus tentée de s’arc-bouter sur des territoires qui lui paraissent accessibles historiquement, stratégiquement, économiquement ? Ainsi l’Afrique pourrait-elle faire l’objet d’un redéploiement d’engagements, peut-être plus intelligents qu’avant, permettant de faire face à la diversité entre concurrents et ennemis. Y gagnera-t-elle ?
Les économies européennes sont mises à mal par la prédation chinoise au sud de Sahara. Elles y affrontent les pratiques commerciales indéfendables ou déloyales de la Chine. Mais les pays européens, redisons-le, se retrouvent aujourd’hui face à un défi autrement plus crucial : barrer la route au militarisme russe en Europe même. C’est reconnaitre qu’une économie de guerre va peser inexorablement sur l’économie tout court ! L’effet non-désiré de cette situation c’est, comme on l’a suggéré, cette nécessité ressentie d’une union sacrée que fait la menace. Des lors, paradoxalement, c’est Poutine qui travaille pour l’UE, en faveur des étapes névralgiques manquantes pour son envol !
Surprenante conclusion que le flot d’informations et d’analyses floute pour la compréhension de ce qui se joue au cœur de cette guerre contre l’Ukraine. A peine le point est-il à effleuré ! Or, c’est lui qui confère à cette crise son caractère de tournant historique.

L’Afrique qui émerge
La ruée est donc engagée pour la maîtrise du monde avenir. L’Afrique y serait-elle condamnée toujours à n’être qu’un champ de bataille des autres empires ? Frappées encore d’incapacité pour protéger ses intérêts, les sociétés africaines sont déjà aujourd’hui des territoires en mouvement. La présence de leurs diasporas ailleurs, comme le montre tous ces jeunes africains et malgaches en Ukraine, est un signe puissant de mobilité. Loin d’être une immigration « perdue », ce phénomène donne à voir des réinvestissements des gens et des capitaux sur le continent. Puisque les Etats africains ne contrôle guère ce mouvement, c’est qu’il est également un symptôme des bouleversements profonds que fermente l’Afrique.
La vocation de ce vaste espace en gestation se limiterait-elle à une affaire d’infrastructures, à l’exploitation des ressources brutes, l’aménagement de territoires, la stabilité des pouvoirs ? Confrontées à cette géostratégie et géopolitique émergentes, les puissances de demain sont celles qui sauront négocier avec cette autre Afrique à l’horizon. Et non celles qui chercheront à se maintenir sur les ruines de leurs grandeurs perdues, loin de tout investissement illusoire, parfois tragique, visant à faire mentir l’Histoire ! La leçon de l’Ukraine, c’est aussi cette aberration criminelle, dont il faudra résolument se garder partout et pas seulement en Europe.


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