Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche
Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

Accueil > Les communs dans l’histoire européenne par Sylvette Bareau

Article publié

Penser le bien commun -journée du 21 octobre 2023

Les communs dans l’histoire européenne par Sylvette Bareau

jeudi 9 novembre 2023, par :

Depuis l’Antiquité la notion de biens communs a évolué peu à peu : pendant longtemps, seuls quelques personnages dominants et/ou leur famille étaient désignés comme propriétaires personnels des biens et pouvaient en disposer et les distribuer (souvent selon des règles bien précisées) : par exemple, en Égypte, les pharaons. Le reste de la richesse d’un espace est considéré comme commun à l’ensemble du peuple qui l’habite. Souvent cet éminent droit d’usage commun est réputé s’exercer sur le bien d’une divinité (ou d’une famille divine, au-dessus du ou des chefs politiques).

À la fin de l’Antiquité classique, au IVe siècle de notre ère, le christianisme devenu religion d’État (surtout après les Édits de Théodose) s’impose à la tête de l’empire romain et progressivement introduit la notion de nom personnel lié au nom de baptême. Longtemps le christianisme reste un phénomène urbain, tandis que les campagnes restent attachées aux pratiques religieuses ancestrales, et parmi elles à la gestion communautaire des terroirs qu’elles mettent en valeur. L’espace habité, même nommé en fonction d’un maître d’origine romaine, ou gaulois ou autre, nous a laissé toute une strate onomastique encore actuelle. Autour d’eux, tout un petit peuple, encore mal nommé, donne (ou non) de la valeur à ces terres.
Pendant quelques siècles, émaillés d’événements variés (guerres, invasions, catastrophes naturelles ou belles périodes…), l’ex-Empire Romain d’Occident a été compartimenté en royaumes d’origines ethniques diverses qui changent au gré des héritages et des conquêtes… mais seuls les maîtres et les pouvoirs changent vraiment, les populations de base s’adaptent et, si possible, survivent assez bien ou… très mal : les règles de vie en commun maintiennent souvent un cadre sécurisant. De même, au cours des générations, la christianisation des campagnes, accompagne la vie des îlots d’habitat traditionnels par un rythme commun liturgique. Peu à peu chaque hameau, chaque bourg est doté d’une église ou d’une simple chapelle qui rappelle (toutes n’ont pas de vraies cloches !) les principales heures de prières, les moments liturgiques du dimanche et les grandes fêtes.
Selon le type de paysage, plus ou moins facile à mettre en valeur, et les aléas de l’histoire locale, la population vit assez bien pendant certaine périodes fastes (par exemple le « beau moyen-âge » du début du XIe au début du XIVe siècle) exemptes de grandes famines, de grandes épidémies et de catastrophiques traversées par des bandes armées. Voir le calendrier des « Très Riches Heures du Duc de Berry ». C’est alors le moment d’utiliser un surplus d’énergie et de recherche de la beauté (quand ce n’est pas une compétition ?) pour bâtir des cathédrales (encore une œuvre en commun) mais aussi de plus belles villes agrémentées de beffrois, d’horloges fabuleuses, de halles superbes et de maisons ornées de pans de bois sculptés.

Mais bientôt le vent tourne, du XIVe au XVIIe siècle : des guerres incessantes (voir la guerre de Cents Ans, entrecoupée de trêves), la pire des épidémies (la Grande Peste Noire en 1348, qui tue, en quelques mois, plus de la moitié de la population de l’Europe, puis revient tous les 15 ans), un climat qui se refroidit pour plusieurs siècles (on parle plus tard du Petit Âge glaciaire, où la Seine gèle chaque hiver au point qu’on peut y établir une foire)… Ainsi les habitudes de vie considérées jusque-là comme « normales » sont transformées et font craindre l’approche imminente de la fin du monde. La peur de l’enfer déstabilise toute la vie spirituelle, entre les dévotions collectives excessives et les pires horreurs : la perspective des juifs « déicides », la chasse aux sorcières, etc. Pour d’autres, c’est l’Église elle-même qu’il faut nettoyer, purifier, et naissent alors divers mouvements de Réforme (même s’ils ont conjointement bien d’autres origines).
Pour beaucoup, l’imagination, la réflexion, la recherche de richesses extraordinaires les poussent, via des techniques nouvelles, à inventer le dépassement des horizons connus :
  Partir sur des océans ou des terres inconnus et découvrir des continents et des peuples insoupçonnés jusque-là.
  Redécouvrir des textes et des savoirs oubliés et trouver le moyen de les multiplier et ainsi de les mettre à portée de tous : l’imprimerie naît en Rhénanie (en réalité bien plus tôt en Chine) et conquiert rapidement toute l’Europe.
  Mais aussi, et d’abord en Angleterre, considérer que tout l’espace, jusque-là géré en commun avec l’ensemble de la population rurale, appartient aux seuls dominants : ceux-ci se mettent à clôturer les parcelles dont ils veulent se réserver les ressources et les fruits pour n’avoir plus à les partager : c’est le mouvement des « enclosures », ce qui oblige le petit peuple à entrer dans des structures de type carcéral pour y exercer des activités contraintes et salariées selon les désirs des maîtres (aristocrates ou bourgeois) : errer dans les campagnes à la recherche d’un travail au jour le jour (être journalier) devient un délit, il faut être encadré, contrôlé, pas de place pour les vagabonds.

À partir du XVIIIe siècle les conditions de vie s’améliorent peu à peu en Europe (moins de guerres épouvantables, d’épidémies catastrophiques, de famines récurrentes). La population peut enfin croître un peu. Ceux que leur audace a menés au-delà des mers sont persuadés que tout ce qu’ils y découvrent, terres et hommes, est à prendre comme l’étaient « les communs ». Ils organisent vite l’esclavage et se comportent comme des destructeurs des mondes qu’ils n’ont même pas pris le temps de commencer à connaître et peut-être à aimer (sauf quelques-uns tels Las Casas).
Partout, l’important est de rentabiliser ce qui peut l’être. Tant pis pour les autres. Par-delà la tempête de la Révolution venue de France et l’espérance d’exporter les idéaux nouveaux au monde entier, le XIXe siècle reprend le chemin ancien (celui qui a commencé avec les enclosures et la conquête du Nouveau Monde), mais selon de nouvelles modalités : c’est la compétition pour soumettre le monde à la colonisation, supposée assurer la richesse et le prestige des seules « grandes puissances » (les Européens).
Aujourd’hui, après deux siècles d’exaltation et de désillusions, malgré les richesses accumulées puis souvent perdues, nous avons oublié ce que la fraternité et le partage pouvaient apporter de douceur à nos pauvres ancêtres (à côté de bien des rigueurs). Seules comptent nos finances ! ou presque.


Un message, un commentaire ?
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Qui êtes-vous ?
  • [Se connecter]