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Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

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Article publié

Penser le bien commun - journée du 21 octobre 2023

L’AVENIR ET LA MEMOIRE DES COMMUNS par Philippe KABONGO-MBAYA

dimanche 3 décembre 2023, par :

Au terme de cette session sur les « Communs », nous avons droit à un « Envoi ». L’Envoi, est un mot liturgique. Une exhortation qui signifie : après l’écoute de la Parole, l’assemblée peut partir pour la mise en pratique de ce qui a été entendu. Mais un « envoi » se réduit-il toujours à un catalogue des recommandations ?
Au croisement de réflexions, souvent denses et parfois difficiles que nous avons partagées, il n’est pas rare que nous nous posions la question, quel est l’intérêt ou la pertinence du Christianisme social en tout cela ? Dès lors l’envoi peut aider à méditer le chemin qui reste à faire, les exigences de la destination également. C’est autre chose que les exhortations déclamées, épargnées de toute interrogation.

Trois modulations me semblent résumer assez bien ce que je retiens des contributions que nous avons entendues. Toutes riches les unes que les autres. Ce sont aussi trois thèmes qui aident peut-être à repositionner les « Communs » à la lumière de quelques situations ou moments bibliques. Mon propos est sommaire. Il y a :
Les communs à construire ;
Les communs empêchés, ou menacés ;
Les communs comme mémoire.
Il me parait assez parlant de mettre en regard les récits de « multiplication des pains » dans les évangiles (Mat14,14-21 ; Mc 6,34-44/8,1-9 ; Lc 9,12-17 ; Jn 6,1-15) et le non-partage dont l’apôtre Paul parle dans sa première lettre aux Corinthiens au chap 11, 17-22.
Le signe des pains donnés à profusion est rapporté par les quatre évangiles du Nouveau testament. Matthieu et Marc en parlent deux fois ; Luc et Jean une fois. Le défi de partage est présenté comme à la portée de la communauté puisqu’il est la marque de ce qui est rendu possible pour fonder la confiance des disciples en la fraternité.

Un commun à construire
Retenons ce qui est raconté dans le 4è Evangile. Dans ce récit, le don du pain en abondance est préparé par un préambule narratif. L’information est enfin donnée à Jésus. Il y a ici un enfant qui possède cinq pains et deux poissons. Un casse-croute inespéré, peut-être, mais si dérisoire ! Il n’est pas confisqué ni réquisitionné, mais offert par un enfant aux amis de Jésus qu’inquiète la situation. L’amorce du dénouement d’une vient d’un enfant, symbole de fragilité, de ce qui est insignifiant : ce que suggère le texte originel où le terme utilisé est « gamin » par opposition à un adulte.
Cet enfant est porteur d’une provision. Était-il le seul à en avoir ? Où était celle des adultes, puisque normalement ce sont plutôt les parents qui pensent aux enfants et pas l’inverse ? Cette scène atteste qu’un gamin s’est dessaisi de ce qui était propre pour le besoin de tous les autres ! On peut donc constater que ce qui lui était destiné en « propre » devient une chance pour la construction d’un « Commun » !
L’édification des « Propres » vise la concrétisation et la protection d’autres « propres », qui peuvent se révéler des bénéfices sonnants et trébuchants. En revanche, le « Commun », lui, est suivi généralement par une gratitude sans retour. Jésus rend grâce et fait distribuer le don comme une surabondance de liberté, de joie et de reconnaissance.
Mais l’histoire présente un autre rebondissement. Le reste de la profusion ne doit pas se perdre. Car le don appelant un autre don, ce « Commun » par le casse-croute d’un enfant montre bientôt qu’il s’agit d’une chance à répartir entre celles et ceux qui ne sont pas là. Un don pour un temps à venir. D’une abondance sortie de rien nous voici devant cette vérité que tout est rien si l’on oublie l’avenir. C’est cette articulation de deux temps qui me parait significatif pour la construction d’un « Commun » digne de ce nom. C’est donc tout à fait éclairant quand on pense à ce contre quoi l’apôtre s’insurge ci-dessous.

Un commun empêché ou menacé
Aux versets 20-22 du chap. 11 de la 1ère aux Corinthiens, les paroles de Paul sont particulièrement virulentes ; elles concernent un « Commun » menacé. Y aurait-il un rapport, une réminiscence, avec ce dont Luc rend compte en début des Actes ? :
« 32 La multitude des croyants était parfaitement unie, de cœur et d’âme. Aucun d’eux ne disait que ses biens étaient à lui seul, mais ils mettaient en commun tout ce qu’ils avaient. […] 34 Personne parmi eux ne manquait du nécessaire » ( Ac. 4, 32-34). Il est vrai que Luc conçoit l’origine de l’Eglise comme un nouvel Eden. Ce mythe originaire qui pose l’harmonie et la communion comme des marqueurs d’un référent fondateur.
Une utopie en acte tenue pour un acquis. Un « Commun » construit comme expérience et signe vivant de fraternité en ses exigences même. Les paroles de Paul sont précises et accablantes :
« …lorsque vous vous réunissez, ce ne pas pour prendre part au dîner du Seigneur, car au moment de manger, chacun se hâte de prendre son propre diner, de sorte que l’un a faim tandis que l’autre est ivre. N’avez-vous pas des maisons pour manger et boire ? Ou bien méprisez-vous l’Eglise de Dieu, en faisant honte à ceux qui n’ont rien ? »
Les « Communs » dans ce passage sont le « repas du Seigneur » et l’« Eglise de Dieu. », qui ne peuvent être propriété de personne. Ils sont le contraire de « repas et les boissons » que chacun amène, en sortant de sa demeure pour rejoindre une autre « maison » : l’assemblée des frères et sœurs, qui est un « Commun fraternel ».
Le texte témoigne que ces deux « Communs » (repas du Seigneur et Eglise de Dieu) sont cependant mis à mal par des logiques de propriété et de l’entre-soi. Ils sont menacés par le retour de l’esprit de chacun pour soi, ou peut-être le modèle de club privé.
Comment Paul s’y prend-t-il pour redresser cette situation de privatisation des « Communs » ?

Sauver la mémoire du « Commun »
Paul ne fait pas de recommandations dispendieuses. Des exhortations pieuses ou moralisantes. Si ! Pourtant s’il nomme et qualifie ce qui est arrivé, c’est pour le ramener à une mémoire ! Il y a des Communs d’élection, voire de préférence… ; mais peut-être que le vrai « Commun » ici est finalement le recours à sa seule Mémoire : quelque chose d’autre nous précède et nous établit en « communauté ». Comment retrouver ce « déjà-là », qui permet de récupérer ce qui est à honorer, à protéger, car toujours menacé ? Ce dont il convient de se souvenir c’est de la vie propre d’un autre, qui l’a vouée lui-même aux autres. Par amour. Gage de la communauté et de ce qui doit faire son sens en son sein. C’est un point capital qui demanderait une attention plus ample.
Paul dit ailleurs, « Il n’a pas estimé comme une proie à arracher d’être l’égal de Dieu, mais il s’est dépouillé… » (Phil 2, 6b-7). Ce « déjà-là » fondateur de vie n’explique-t-il pas aussi pourquoi la cascade de malheurs et de mort s’étale chez les Corinthiens ? La logique délétère de possession et de l’entre-soi ayant remplacé chez eux le vivre-ensemble voué à un Commun ; sans états d’âme, ils ne pouvaient que bafouer les liens de partage et de solidarité qui irriguent et guérit la vie ? Le repas du Seigneur, ce « Commun originaire », n’est pas seulement ce qui est à discerner, mais d’abord à préserver contre les pratiques d’exclusion et d’injustices ! Les assemblées eucharistiques ne le sont pas par simple nomination. Mais, en l’occurrence, par ce qu’elles donnent à voir, par ce qu’elles célèbrent et défendent, tel un manifeste, pour « faire communauté » dans l’acte du Commun.
Redécouvrir du sens à la Mémoire des Communs, c’est ce que nous nous sommes finalement efforcés de montrer. L’eau, l’air et son oxygène, ces biens inestimables de la terre et cette terre elle-même : tout ce qui devrait être sanctuarisé au nom de la gratitude, en vertu d’une grande espérance eucharistique d’un peuple mobilisé par la faim d’une justice. Travailler sans relâche pour une nouvelle chance de cette mémoire, n’est-ce pas également ce à quoi nous restons sans cesse renvoyés ? Tout ne peut pas être marchandise. Et la folie consiste à croire que rien ne pourrait échapper à la marchandisation du monde et de tout qu’il contient.
Alors, oui, il s’agit de questionner les enclosures, les fiefs et les privilèges, en repositionnant nos convictions, non seulement face aux énormes dégâts de cette mondialisation de prédation, mais encore et peut-être avant tout contre la ringardisation de tout espoir et de toute lutte. La terre peut se construire et se vivre comme une constellation d’écosystèmes faits de biens et d’espaces « libres », témoins et d’opportunités inespérées, fournisseurs d’espérance.


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