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Appel pour une relance du christianisme social, pour des communes théologiques

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Article publié

Penser le bien commun - journée du 21 octobre 2023

Ouvrir la perspective d’un sabbat ? – par Dominique Hernandez

jeudi 7 décembre 2023, par :

Lecture : Exode 20, 8-11
8 Souviens-toi du jour du sabbat, pour le sanctifier.
9 Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage.
10 Mais le septième jour est le sabbat de l’Éternel, ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui réside chez toi.
11 Car en six jours l’Éternel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié.
Pourquoi parler du sabbat puisque ce n’est plus une pratique dans la quasi-totalité des églises chrétiennes ?

C’est le dimanche que nous nous rassemblons pour célébrer la résurrection, la fête de Pâques. Cependant, dans bien des temples réformés, le Décalogue, les 10 paroles de vie sont gravées sur un mur, bien visibles par l’assemblée, parce que leur sens n’est pas dépassé et que ce qu’elles portent à notre attention, à notre réflexion nourrit encore la foi et l’existence.
La parole sur le sabbat est la quatrième du Décalogue. Elle élargit la dimension collective qui va bien au-delà du peuple d’Israël puisqu’elle concerne les animaux domestiques et les immigrés résidant dans le pays. De plus, le verbe qui la supporte ne se rapporte pas à un faire ou ne pas faire, mais au souvenir : souviens-toi du jour du sabbat, comme si ce jour pouvait être oublié, facilement oublié, tellement facilement, alors qu’il en va de la vie même puisqu’il s’agit d’une des dix paroles de vie, pour vivre.

1° Le fondement du sabbat est clairement rappelé : il s’enracine dans le septième jour du récit de Création dans le livre de la Genèse, Création qui n’est pas une fabrication, mais un événement de parole qui donne sens à l’humain dans le monde, un sens alors compris comme distinctions, don et bénédiction. Nous l’avons entendu tout à l’heure. Le septième jour, l’Éternel se repose du travail qu’il a fait les six jours précédents, il bénit ce jour et le consacre, ou le sanctifie. Le septième jour, Dieu s’arrête, il cesse d’œuvrer et c’est ce repos qui est le point culminant de son ouvrage, ce n’est pas la création de l’humain malgré la vocation qui lui est donnée de dominer la terre. Cette domination qui, il faut toujours le rappeler, ne consiste pas en un rapport de force sur la terre et l’ensemble des vivants mais en un gouvernement orienté dans la bénédiction divine et qui permet à la vie de se déployer dans sa diversité. Le repos de Dieu, son retrait engage l’humain créé à l’image de Dieu à en faire autant, c’est à dire à ne pas prendre toute la place, à ne pas investir tout le temps et l’espace de ses activités mais à prendre un temps pour s’arrêter. Le repos du sabbat, inséré dans la bénédiction et la sanctification de ce jour représente alors un temps pour se replacer, se re-poser, se poser à nouveau dans la compréhension de la Création où l’humain n’est pas propriétaire et en responsabilité de bonne gestion. Ce jour représente la faille, l’interstice qui permet de voir la terre et tout ce qui s’y trouve à la lumière non du soleil mais de la Parole créatrice de vie vivante.
Alors le sabbat de la quatrième parole de vie représente à travers la cessation d’activité un temps où l’humain prend du recul par rapport au tohu-bohu qui revient toujours envahir les jours et les esprits. Le tohu-bohu, c’est cette accumulation où tout est mélangé et indistinct, où il n’y a pas de limite et pas de séparation, un amalgame, une précipitation où est engloutie la capacité à prendre du recul, à discerner, à faire la part des choses, à choisir et en particulier à choisir la bénédiction, le bon, la vie. Les humains n’ont-ils pas besoin de cet arrêt, qui est un écart, une mise au large des accumulations d’activités, de flux de communications de toutes sortes, des torrents d’injonctions ? N’en avons-nous pas besoin ? Pour reprendre pied dans notre existence singulière et notre vie commune, pour reprendre souffle dans une inspiration créatrice, pour prendre soin de notre âme, pour faire jouer notre liberté et notre responsabilité d’humain, pour nous poser à nouveau dans la bénédiction qui nous encourage.
Le sabbat est le temps pour relancer la dynamique responsable, c’est-à-dire en réponse à notre vocation d’humain, et c’est le temps qui permet de trouver une forme à donner, ensuite, au « cela est bon, cela est très bon » que murmure inlassablement la parole créatrice au cœur de notre être.

2° Car le sabbat est un temps pour l’avenir. Se souvenir du sabbat, c’est se souvenir de l’avenir. Nous n’avons pas à nous souvenir seulement de ce qui nous fonde. Pour le texte de l’Exode et la parole sur le sabbat, il s’agit en vérité d’une double fondation : le sabbat de l’Éternel et la libération de l’esclavage. En effet, le prologue du Décalogue, la parole qui tient les dix paroles de vie, c’est celle qui rend présent l’Éternel comme Dieu libérateur : Je suis l’Éternel ton Dieu qui t’a fait sortir d’Égypte, de la maison de l’esclavage (Ex 20,2). Et dans le texte du livre du Deutéronome parallèle à celui-ci, le Décalogue du chapitre 5, le sabbat est articulé non au repos de l’Éternel, mais à la libération : tu te souviendras que tu as été esclave en Égypte et que l’Éternel ton Dieu t’en a fait sortir d’une main forte (Dt5,15). Il y a un avenir parce qu’il y a libération. Il y a un avenir parce qu’il y a coupure, rupture, recul, écart d’avec ce qui oppresse, opprime, envahit, contraint et qui fait oublier la libération, la liberté. Le sabbat fait se souvenir que rien n’est écrit d’avance lorsqu’on se place, se replace dans la perspective de la libération et de la bénédiction. Sous la pression du futur et de sa fatalité, sous la pression conjointe de l’accélération et de l’immédiateté, on peut oublier qu’il y a un avenir, et que ce qui contraint notre intériorité et notre être au monde ne nous définit pas. D’ailleurs, nous ne sommes pas définis, mais nous sommes appelés, c’est-à-dire indéfinis dans une parole de grâce qui est vocation à vivre véritablement. Nous ne sommes pas définis par notre travail, tout aussi important, utile, productif soit-il. Il ne garantit pas notre dignité qui repose dans la bonté de l’Éternel. Le travail est une des formes de notre présence au monde, mais ce n’est pas la seule. Faire tout son travail pendant six jours et cesser de travailler le 7° est une manière de donner corps à la libération de l’esclavage en posant une limite au travail, et à la frénésie des activités. Et cela non seulement pour celui ou celle qui travaille, mais aussi pour la terre sur laquelle nous travaillons à sur laquelle nous imprimons la trace de notre travail d’humains quel que soit notre travail et notre métier. De même, nous ne sommes pas constitués par nos consommations mais par un appel à cultiver nos relations dans la confiance, l’amour, l’espérance.
Le sabbat offre un temps pour discerner et évaluer nos dépendances, nos possessions et les habitudes auxquelles nous ne réfléchissons plus ; il offre un temps pour renouveler notre perception des choses et des êtres par l’apprentissage et le ré-apprentissage de relations gratuites, non marchandes. Il ne s’agit pas seulement de ne rien faire au temps du repos mais d’être et de se reconnecter à la source d’être. C’est en cela que le monde est renouvelé, dans ces temps de sabbat qui ouvrent un espace de liberté et qui donnent un rythme de vie au courant des activités, de ce qui remplit le reste du temps. Jésus le Christ, à la synagogue de Nazareth annonce la libération des captifs et aux aveugles le recouvrement de la vue. Se reposer, se poser à nouveau dans notre existence personnelle, dans nos relations d’humanité, dans notre présence commune dans le monde et sur terre en gratitude, en espérance, en responsabilité de présent et d’avenir c’est ce que permet, ce qu’offre le sabbat, c’est son sens pour donner sens à notre agir à nos manières d’être.

3° C’est ainsi que le sabbat nous permet de faire place à tout le vivant sur la terre et donc à ce qui permet la vie des vivants sur terre et qui n’est pas seulement objet d’exploitation pour les humains. Les ressources de la terre que nous exploitons ne sont pas seulement des ressources à notre disposition sans quoi les dynamiques d’équilibre qui garantissent la vie des vivants sont altérées. Avec le sabbat, il est question des limites, des limites de l’activité humaine et aussi des limites des capacités et des ressources de la terre. Au sabbat de Dieu, le repos du septième jour selon le récit de Genèse, un récit mythologique et pas un compte-rendu d’événements, au sabbat de Dieu répond le sabbat pour le peuple et pour les animaux domestiques dont la qualité de créatures est ainsi reconnue et honorée. Un autre livre de la Torah, le Lévitique, le sabbat de la terre est prescrit. : laisser une septième année de jachère pour la terre après six années de cultures et de récoltes. Si notre société n’est plus une société agricole, la quatrième parole de vie invite à se poser pour réfléchir à notre emprise sur la terre et les autres vivants qu’elle porte et pour considérer que tout humains que nous sommes, nous faisons complètement partie de cet extraordinaire ensemble. Nous ne sommes pas pleins de nous-mêmes et le sabbat dégage dans la compréhension de soi et du monde un espace vide mais fructueux car il est la place laissée pour ce qui n’est pas nous. Il rend conscient de ces communs dont bénéficient tous les vivants, l’eau et l’air par exemple. Il engage à accepter de ne pas tout avoir, de ne pas tout prendre, à résister à l’accumulation et à la convoitise. Cette limite est vivifiante pour soi, pour l’humain et pour les autres vivants. L’humain à l’image de Dieu est capable de se limiter plutôt que de céder à la tentation de se prendre pour Dieu, enfin une idée de Dieu qui n’est pas l’Éternel Créateur mais plutôt une divinité toute-puissante et remplie d’elle-même. Sabbat pour l’avenir et sabbat pour la terre sont profondément reliés l’un à l’autre dans la reconnaissance de l’Éternel. La Bible hébraïque poursuit avec la remise des dettes et la libération des esclaves hébreux lors de l’année sabbatique, ce qui corrige les inégalités sociales et économiques. L’être humain comme image de Dieu l’est aussi en faisant œuvre de libération envers celles et ceux qui ont été soumis à une situation de pauvreté ou d’oppression et qui peuvent alors re-commencer, commencer à nouveau. Cela garantit la vie commune, en société, un équilibre où chacun retrouve une place correspondant à la dignité inaliénable de tout être humain. Le temps du sabbat est un temps propice pour inventer, innover des manières de faire qui rendent actuelles et réalisables la destination de l’humain vers la vie vivante. Jésus le Christ, à la synagogue de Nazareth annonce une année de grâce. N’avons-nous pas encore à y appliquer la pensée, l’intelligence et notre créativité en portant un regard positif, baigné de gratitude et de bénédiction sur les vivants et sur la terre où tous nous vivons ?

4° Ce n’est plus le sabbat du septième jour qui est célébré dans les Églises, mais le dimanche du huitième jour, nouveau premier jour d’une nouvelle création selon l’expression de l’apôtre Paul. C’est une célébration pour l’avenir car Pâques reprend la compréhension du sabbat libérateur et ouvreur du sens pour la vie offerte en partage.
La résurrection de la vie là où elle est empêchée, là où elle n’est plus, la libération des esclavages mortifères,
la louange où s’élargissent nos horizons, nos perspectives,
la communion dans l’écoute et dans l’accueil du don de Dieu, Parole, Christ, Esprit, tout cela nous re-pose et nous relance dans nos existences singulières, dans notre humanité commune, dans notre responsabilité d’êtres humains.
Nous faisons le dimanche, et dans d’autres occasions, un pas de côté, hors de la course affolante du monde, des consommations insensées, des activismes effrénés, pour imprégner à nouveau nos choix, nos décisions, nos paroles et nos actes de grâce et de bénédiction, de beauté et de gratuité, de bonté et d’espérance.
Nous avons besoin de ce temps où nos accélérations s’interrompent pour retrouver le souffle, l’Esprit de liberté, et la conscience et l’âme qui nous relient à nous-mêmes et les uns aux autres, à tout ce qui nous entoure et à l’Éternel.


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