Qu’est-ce que la non-violence ?
Le terme Non-violence est un terme piégé. Ce n’est pas seulement l’absence de violence. Lorsque je croise une personne dans la rue, si je ne lui envoie pas ma main dans la figure, je ne suis pas non-violent, je suis juste civilisé.
La non-violence implique la volonté de modifier par une action concrète, mais sans utilisation de violence, un comportement, une décision, une loi qu’on estime injuste.
L’action non-violente entend d’abord épuiser les possibilités du dialogue avec l’adversaire en faisant appel à sa raison et à sa conscience pour tenter de le convaincre.
Elle est ensuite l’exercice d’une force opposée à la violence, et elle demande souvent une prise de risque. Elle peut se mettre volontairement hors-la-loi pour accentuer sa médiatisation. On parle alors de désobéissance civile.
La non-violence n’est pas l’inaction, elle suppose avant tout qu’on soit capable de combativité. Elle est donc opposée à la passivité et à la résignation plutôt qu’à la violence.
Le côté actif et positif de la non-violence est primordial.
Quels sont les principes généraux de l’action non-violente ?
Tout commence par la prise de conscience d’une injustice, d’une violence, physique, sociale, politique…
L’objectif que l’on veut atteindre doit être bien défini, limité, atteignable.
Il est important d’essayer de trouver d’abord une issue à la situation par le dialogue.
Ensuite le succès nécessite la médiatisation la plus large possible. L’appel à la compassion de l’adversaire n’est pas toujours efficace et il faut alors passer par la compassion du public, voire de l’opinion internationale.
Enfin chaque personne, même l’adversaire, doit être respectée en tant qu’humain, dans sa dignité.
Petite histoire de la non-violence
Le concept moderne de non-violence est apparu avec Gandhi, qui avait plusieurs sources d’inspiration dont l’Évangile, qu’il citait souvent.
Il utilisera l’action non-violente pour libérer l’Inde de la domination anglaise. Il est mort assassiné.
D’autres figures emblématiques ont également utilisé la non-violence comme moyen de lutte et certains l’ont payé de leur vie :
– Martin Luther King, militant pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis,
– Nelson Mandela luttant contre l’apartheid en Afrique du Sud
– Patrice Lumumba luttant pour l’indépendance du Congo belge.
– le Dalaï-Lama, prix Nobel de la paix en 1989,
et bien d’autres plus ou moins célèbres !
Quelle est la place de la non-violence dans la société démocratique ?
L’usage de la violence se trouve en contradiction manifeste avec l’exigence fondamentale de la politique qui est (ou devrait être) de construire une société harmonieuse libérée de l’emprise de la violence.
Un exemple particulièrement frappant de violence aujourd’hui est celle du pouvoir médiatique. La société de l’information dans laquelle nous vivons façonne notre manière de vivre ensemble et d’être en rapport avec le monde. Notre fonctionnement démocratique est structuré par le pouvoir des médias et il convient de mettre des limites à ce pouvoir et aux intérêts économiques qui le dirigent.
Autre violence, la répression des militants environnementaux en Europe, et en particulier en France a été dénoncée en février 2024 par un rapport d’experts de l’ONU, comme représentant une menace majeure pour la démocratie.
Aujourd’hui, les citoyens aspirent à une démocratie participative avec des espaces où ils pourraient prendre part au débat politique, assumer des responsabilités.
La non-violence peut sembler une utopie, pourtant elle est porteuse d’un projet politique qui vise à établir une véritable démocratie, à la fois sociale, économique et politique.
Pour régénérer l’intérêt de tous pour le politique, il convient de cultiver la citoyenneté au-delà des seuls moments de vote, à travers notamment un travail collectif sur les valeurs communes (solidarité, citoyenneté, laïcité...).
La violence dans notre société
Pour l’avenir de notre société il est fondamental de rétablir le primat du politique sur l’économique.
Un regard non-violent sur la société amène à dénoncer tous les mécanismes d’apologie de la violence qui se sont succédé au cours du temps : système social fondé sur la religion, système politique bâti sur un État tout-puissant garant du maintien de l’ordre à tout prix, système politique et social actuel dans lequel l’économie a évincé le politique.
Nous ne saurions accepter cet « ordre marchand » qui nie fondamentalement le citoyen en le réduisant à l’état de producteur/consommateur, et qui induit un véritable (gas)pillage des ressources naturelles. Dans nos sociétés d’abondance, le progrès pour l’individu ne devrait plus être mesuré par la seule croissance de son pouvoir d’achat et de son niveau de vie : il faudrait mesurer le progrès à l’aune du temps disponible pour vivre avec les autres, en famille, en société, pour échanger librement et gratuitement des services ou des savoirs, pour se former, pour créer, aimer... et pour agir en tant que citoyen responsable dans la cité.
Dans cette perspective, la réduction du temps de travail n’est pas tant un moyen de lutte contre le chômage qu’une véritable priorité en termes de choix de société, de « développement soutenable » sur le plan écologique... et éthique.
Avec le développement des techniques et des activités industrielles, l’humanité est à l’origine d’impacts écologiques et climatiques d’une ampleur inédite. Le respect de la nature est autant un impératif politique vital qu’une marque de l’humanité.
Violences écologiques et violences sociales, politiques, économiques, sont de plus en plus liées.
C’est la mise en pratique de cette exigence écologique en même temps que de l’exigence de non-violence et de démocratie qui rendra possible l’avènement d’une société soutenable dans tous les domaines.
L’éducation à la non-violence est essentielle.
Mais, dans notre société, la culture de la violence est considérée comme utile, voire nécessaire.
C’est l’éducation qui transmet cette culture.
Une éducation qui s’inspire de la non-violence vise au contraire à modifier les comportements de domination / soumission. Elle transmet des valeurs de justice, de solidarité, de respect des différences. Elle développe aussi des attitudes qui favorisent la résolution non-violente des conflits : la solidarité plutôt que la rivalité, la coopération plutôt que la compétition, la responsabilité plutôt que la soumission, l’esprit critique et la créativité plutôt que la reproduction irréfléchie de modèles.
Des « cours d’empathie » ont été envisagés dans quelques classes maternelles, pour apprendre aux enfants à comprendre et maîtriser leurs émotions. Cela existe au Danemark depuis 30 ans : pourquoi pas en France ? Le MAN (Mouvement pour une alternative non-violente) forme des éducateurs qui sont prêts à intervenir dans les écoles.
L’action non-violente et la régulation non-violente des conflits ne s’improvisent pas. Pour former des citoyens qui sauront gérer la vie de la cité par des moyens non-violents, c’est-à-dire démocratiques, il est indispensable que notre société investisse des moyens dans une éducation s’inspirant de la philosophie de la non-violence. Ce choix fondamental doit découler d’une volonté politique.
Quelques exemples d’actions d’hier et d’aujourd’hui, qui dénoncent des injustices.
• L’organisation de grandes marches populaires : la marche du sel de Gandhi, Martin Luther King qui s’associe à la marche de Selma, la marche sur Paris des paysans du Larzac, la marche des Beurs
• Les Sit-in : en 1977 en Argentine les grands-mères de la place de Mai, aujourd’hui des jeunes pour la défense de la planète.
• Les grèves de la faim : cette arme a été utilisée par Gandhi puis par beaucoup d’autres. Elle nécessite une médiatisation forte.
• Le boycott : la première action non-violente organisée par Martin Luther King fut en 1955 le boycott des bus par les noirs pour s’opposer à la ségrégation raciale dans les transports publics.
Des acteurs de la non-violence
De grandes associations internationales, utilisant des méthodes non-violentes, ont vu le jour :
• Amnesty International (1960) et l’ACAT (1974) pour la défense des droits de l’homme, contre la torture et la peine de mort.
• Greenpeace agit pour la défense de l’environnement et de la paix depuis 1971. Ses actions non-violentes spectaculaires sont très médiatisées.
Mais des individus isolés peuvent aussi avoir des attitudes non-violentes face à la répression.
• Sur la place Tian’anmen à Pékin, le 20 mai 1989, le monde entier, sidéré, a vu un jeune homme seul au milieu de la chaussée, défiant une colonne de chars. L’armée nettoiera brutalement la place, faisant environ 1800 morts mais cette image est bien efficace dans la lutte contre la violence.
Des groupes de citoyens ont imaginés de nouvelles actions comme
• Les cercles de silence
Ils sont nés en 2007, pour protester contre l’enfermement d’étrangers en situation irrégulière, dans les Centres de rétention administrative. Ils dénoncent le fait que des hommes, des femmes, et même des enfants, qui n’ont commis aucune atteinte ni aux personnes, ni aux biens, soient traités comme des délinquants.
Deux initiatives récentes
Elles mettent en avant l’importance de la parole dans le désamorçage des conflits :
• D’abord les médiateurs en milieu scolaire. Plus on apprendra jeune la maîtrise de la violence, plus la non-violence pourra progresser dans la société. Depuis plus de 10 ans, quelques expériences sont menées dans des collèges. Des élèves volontaires sont formés à la médiation et proposent leur aide à des victimes de violence, de harcèlement entre jeunes. Malheureusement ce n’est pas une priorité gouvernementale.
• La justice restaurative. Elle existe au Canada depuis 2001 ; elle a été introduite en France par une loi en 2014. On propose à des personnes qui ont été auteurs ou victimes d’une infraction pénale, des rencontres dans un groupe restreint de condamnés et de victimes, qui ne se connaissent pas, mais qui sont concernées par un même type d’infraction. Elles échangent sur les répercussions de l’infraction commise, au cours de quelques entrevues. La parole leur permet de retrouver une vie aussi apaisée que possible. Ces réunions font intervenir des animateurs formés à la justice restaurative et des représentants de la société civile. Un film intéressant intitulé « Je verrai toujours vos visages » a été réalisé en 2023.
La désobéissance civile
La constatation d’une injustice flagrante peut amener certains à se mettre carrément dans l’illégalité. C’est la désobéissance civile.
Trois exemples :
– Cédric Herrou, un agriculteur habitant près de la frontière italienne, a été poursuivi en 2017 pour avoir « aidé à la circulation et au séjour des personnes en situation irrégulière ». C’est le « délit de solidarité » ! Il a toujours agi au grand jour, et revendique son action : « Je le fais parce qu’il y des familles qui souffrent, il y a un État qui a mis des frontières en place et qui n’en gère absolument pas les conséquences. ».
– Il y a plus longtemps, le « manifeste des 343 salopes » qui affirment avoir avorté, suivi de l’action du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception ont contraint le gouvernement à dépénaliser l’avortement en 1975.
– La désobéissance civile a été bien réelle chez tous les protestants qui ont caché des juifs pendant la 2e guerre mondiale, au Chambon sur Lignon en particulier.
L’expérience de Milgram
Pourquoi la désobéissance civile est-elle difficile pour la plupart des personnes ?
Il nous semble intéressant à ce propos de rappeler l’expérience de Milgram.
Dans cette expérience deux volontaires recrutés par petites annonces vont jouer les rôles d’un enseignant et d’un élève, soi-disant pour étudier l’effet d’une punition sur l’apprentissage.
L’expérience se déroule dans un laboratoire officiel, sous l’autorité d’un « expérimentateur » universitaire. L’« élève » doit répondre aux questions de l’« enseignant ». En cas de mauvaise réponse, il subit de la part de l’« enseignant » une punition sous la forme d’un choc électrique. On demande à l’« enseignant » d’augmenter l’intensité de ces décharges à chaque mauvaise réponse, jusqu’à atteindre 450 V (« Attention choc dangereux » est affiché sur l’appareil).
Mais l’objectif réel de l’expérience est de mesurer le niveau d’obéissance à un ordre contraire à la morale de celui qui l’exécute. En réalité, l’élève est complice, et seul l’« enseignant » ignore qu’il est lui-même le véritable sujet de l’expérience.
Bien entendu, l’élève ne reçoit aucune décharge, mais il proteste vigoureusement, s’agite et supplie d’arrêter comme s’il souffrait réellement. La seule pression que subit l’« enseignant » est l’encouragement verbal de l’expérimentateur, qui représente l’autorité, à continuer l’expérience.
Le résultat très surprenant de cette expérience est que deux tiers des « enseignants » arrivent au niveau maximum des décharges, tout en étant souvent très bouleversés d’agir ainsi.
On peut en conclure que la soumission à la loi (à l’autorité reconnue et acceptée) est, pour beaucoup, plus forte que les convictions morales ou religieuses.
Y a-t-il des limites à la non-violence ?
La question : « faut-il utiliser la violence pour répondre à des violences extrêmes (massacres, génocides...) ? » est fondamentale. La citation célèbre de Gandhi peut apporter des éléments de réponse : « Je crois en vérité que s’il fallait absolument faire un choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence. […] Mais je crois que la non-violence est infiniment supérieure à la violence ».
La non-violence doit donc être la règle générale et le recours à la violence doit être réellement l’exception.
Certains s’interrogent sur les limites de la non-violence. C’est seulement en expérimentant la non-violence qu’on en découvre les possibilités et qu’on en perçoit les limites qu’on peut alors apprendre à repousser.
La violence n’atteint jamais la fin qui prétend la justifier. Jamais, nulle part, elle ne réalise la justice qu’elle prétend rechercher.
Même si l’efficacité de l’action non-violente est limitée, l’exigence spirituelle de non-violence qui fonde et structure l’humanité́ de l’homme reste fondamentale et universelle.
La non-violence n’est pas toujours efficace, mais la violence l’est encore moins.
Si la non-violence est possible, elle est préférable. Et si elle est préférable, alors c’est un impératif catégorique de mettre en œuvre toutes ses possibilités. Ici et maintenant.
L’avenir de la planète
La pollution de la planète, la raréfaction des ressources énergétiques, la perturbation des écosystèmes risquent d’induire des bouleversements sociaux susceptibles d’engendrer encore plus de violence. La société de surconsommation et de surproductivité porte en elle sa propre violence, avec ses impératifs de compétition et d’exclusion.
Face à ces dangers, les humains n’ont d’autre solution que de placer la non-violence au cœur de leurs actes et de leur réflexion. Aujourd’hui, il ne peut y avoir d’espérance de construire un avenir pacifié que si les individus renoncent à toute idéologie de la violence.