Et le Seigneur voit
Et le Seigneur voit
les églises nombreuses
temples austères et dépouillés, les collégiales, les oratoires,
cathédrales haut perchées surplombant les villes de leurs ors et de leurs encens
églises géantes d’Iowa et les prieurés blottis au creux des villages brabançons
la terre battue des chapelles de brousse et le marbre des basiliques
Le Seigneur voit, et ne dit jamais qu’il préfère les sanctuaires de la mer
où des vierges songeuses tendent les bras aux marins.
Et le Seigneur voit
les liturgies nues ou grandioses
les costumes noirs et les soies bariolées
les pasteurs, les prédicateurs, les prêtres, les prophètes, les métropolites
et les femmes qui posent des gestes eucharistiques.
Et le Seigneur voit les évêques, les diacres et les bedeaux,
et tout le peuple qui dresse les tables de l’accueil et fleurit les autels
Le Seigneur voit, et ne dit jamais qu’il préfère dans le petit matin glacé
le sacristain un peu simple qui souffle sur ses doigts avant de sonner les cloches de la première messe
Et le Seigneur voit
les puissants qui ne partagent pas
les théologiens qui dissertent
les tours d’ivoire et de grimoires.
Et le Seigneur voit
les vallées piémontaises
où les vaudois s’assemblent pour lire Jérémie à flanc de montagne
ensemble
Et le Seigneur voit
les hautes terres et plaines du Chiapas
où les indiennes s’assemblent pour réinventer l’Evangile de la Pachamama
ensemble
Et le Seigneur voit
la salle du temple populaire
où des étudiants sourds s’assemblent pour signer le Notre Père
ensemble
Et le Seigneur voit
deux ou trois en son nom, réunis,
ensemble.
Et le Seigneur dit
Je suis le Dieu unique, mais vous, mon peuple, êtes multiples comme les étoiles du ciel,
Et chacun a son nom, sa couleur et son chant
Et moi je suis présent quand vous êtes
ensemble.
Je suis le Dieu unique,
assoiffé de vous-autres, mon peuple, mon étonnant peuple, mon bien aimé étonnant peuple.
Et je vous vois vous battre pour chacun des signes que j’ai offert à vos pères,
et je vous vois hurler avec arrogance que vous tenez la Vérité enclose dans une bouchée de pain,
et je vous vois gonfler d’orgueil comme si vous pouviez juger votre frère que j’aime,
comme si vous aviez autorité sur les brins de ciel pur que j’ai tressés entre mon peuple et moi,
comme si vous pouviez posséder l’arc en ciel,
comme si l’amour était un péché.
Le Seigneur voit, et ne dit jamais qu’il préfère le dimanche à l’heure des vêpres ces deux femmes d’âge mûr qui le prient en secret dans la chambre avant de faire l’amour tout doucement.
Le Seigneur voit chacune des luttes de ses enfants opprimés.
Et le Seigneur dit :
Pourquoi n’écoutez-vous pas, ô mon peuple,
Ce que je dis, encore et encore, dans une compassion obstinée,
combien mes mains sont vides quand l’un de vous opprime l’autre,
quand il l’écarte de la table où je me suis donné.
Et le Seigneur dit :
Il n’y a pas assez de mots de tendresse pour dire combien mon cœur se serre chaque fois qu’on porte en terre un de mes enfants,
et vous, peuple stupide, vous, je vous vois prêts à tuer pour votre religion.
Et le Seigneur dit :
Pourquoi n’écoutez-vous pas, ô vous mon peuple bariolé,
votre fraternité que j’ai partagée à l’ombre des oliviers
avant de l’écrire en lettres de sang sur l’écorce noueuse d’une croix
au mitan des terres d’Orient ?
Moi, votre Dieu unique et torturé, je vous aime chacune et chacun d’un amour immense.
Mais nous n’écoutons pas assez.
Et le Seigneur est, le Seigneur demeure, là où nous ne l’entendons pas et ne dit jamais qu’il préfère ceux qui se tiennent en pauvreté pour tenter d’écouter sa voix.