Nous sommes chrétiens et de gauche. Mais si nous sommes rouges aujourd’hui, c’est de colère. Nous voulons dire notre soutien à Roméo Castellucci attaqué par l’extrême droite catholique comme nous avions dit notre tristesse et notre colère lors de la tentative de destruction de deux photographies d’Andrés Serrano à Avignon, cet été. Nous soutenons le Théâtre de la Ville et le 104, comme nous avions soutenu le musée d’Avignon. Nous nous réjouissons de la claire condamnation émise par l’archevêque catholique de Paris, André Vingt-Trois, alors qu’à Avignon, si l’Église réformée de France avait dénoncé l’appel à la censure, l’évêque d’Avignon avait été un des principaux pousse-au-crime, sans réaction de la hiérarchie catholique. Nous sommes choqués de la frilosité des réactions du gouvernement, si prompt à dénoncer avec violence les islamistes, avant même qu’ils n’aient été reconnus coupables.
Toute personne a le droit de dire publiquement son désaccord avec une autre expression publique. Au-delà, la société française a fait le choix de ne restreindre la liberté d’expression que dans des cas limités, comme l’incitation à la haine contre un groupe en raison de son appartenance à une race, une religion ou une autre spécificité supposée. Comme citoyens, nous sommes inquiets de groupes religieux – et l’arbrisseau fondamentaliste musulman cache la forêt intégriste catholique – qui voudraient aller au-delà en imposant par le harcèlement et la violence un délit de blasphème.
Comme croyants issus d’une religion minoritaire, nous nous rappelons que ce délit de blasphème a, dans l’histoire, servi à torturer, exiler, condamner à mort des centaines de milliers d’athées et de croyants qui n’avaient que le tort d’être minoritaires. La liberté d’expression publique de la pluralité des convictions – même minoritaires, même scandaleuses – est un acquis sur lequel il faut rester inflexible. De ce point de vue, les attaques récurrentes contre des musulmans minoritaires de la part des gouvernements français successifs sont un signe aussi inquiétant que l’activisme liberticide de l’extrême droite chrétienne. Nous avons soutenu le chrétien Andrés Serrano dans sa liberté de dire sa foi à sa manière, nous soutenons Roméo Castellucci qui exprime dans sa réponse aux intégristes un sens profond du pardon et du martyre de Jésus et nous donne une belle leçon d’Évangile.
Comme chrétiens, nous lisons dans les Évangiles un Christ blessé, torturé et mis à mort : le mettre dans un verre d’urine à la manière de Serrano, comme couvert d’un suaire noir face à la douleur d’un père par Roméo Castellucci, nous le rappelle quand la symbolique des crucifix s’est émoussée à force de banalisation idolâtre.
Nous lisons dans les évangiles un christ blasphémateur qui bouscule les évidences bigotes des croyants de son temps : nous remercions Roméo Castellucci comme Charlie Hebdo des interpellations salutaires qui nous empêchent de nous endormir ou pire de nous transformer en croisés d’une soi-disant vérité que pourtant Dieu seul connaît. Comme chrétiens, nous partageons le point de vue de Roméo Castellucci que « cette image du Christ de la douleur n’appartient pas à l’illustration anesthésiée de la doctrine dogmatique de la foi ».
Pour nous, le Christ nous dit que la vie est désormais plus forte que toutes les formes de mort y compris sociales, économiques, culturelles, obscurantistes, sexistes ou homophobes. Ce sont les intégristes catholiques qui le font pleurer aujourd’hui par leurs manifestations devant le Théâtre de la Ville puis le 104.
Nous nous sentons bien plus proches de tous ceux qui luttent pour la justice sociale, des amoureux de l’art et de la liberté d’expression, croyants ou non, qui manifestent pour ne pas leur laisser la rue. Nous voulons vivre un message biblique radical, subversif et au-delà de tous les cadres et de tous les enfermements. Et ceux qui s’en réclament ne sont pas toujours ceux qui le font vivre !