Il n’en reste pas moins que « l’amour de l’humanité (des hommes et de la création) n’est pas conciliable avec l’hypocrisie » nous expliquait Paul il y a deux mille ans. Voilà pourquoi cette demande de prise de conscience des responsables du culte ne cadre pas du tout avec la gigantesque opération de communication environnementale, qui culminera en décembre prochain lors de la conférence Paris Climat (COP21).
Les discours pleins d’emphase qui ne cessent de s’énoncer dans la perspective de ce sommet sont effectivement d’une hypocrisie inouï. Prenons celui de notre président de la République. Il n’arrête pas de vanter le « modèle » français, « exemplaire », « celui de la transition », de la « mobilité propre », de l’ « économie circulaire »… En un mot un modèle qui étendu à l’ensemble de la population mondiale, nécessiterait la bagatelle de plusieurs planètes… Autre exemple est celui de notre Premier ministre qui nous promet que nous nous orientons vers la « sobriété électrique » alors que la consommation d’électricité de notre pays culmine à un point jamais égalée…
L’hypocrisie tient dans le fait que pour l’ensemble de nos gouvernants et décideurs, la sauvegarde de la création ne doit surtout pas remettre en cause le développement économique et technique, la mondialisation libérale, l’hyper-mobilité, nos modes de vie…
« Le chemin que nous traçons, c’est celui qui favorise notre croissance tout en protégeant notre environnement » a résumé Manuel Valls lors de son discours de clôture de la 3e Conférence environnementale de Paris « Je crois à une écologie fondée sur l’innovation. Je crois à une écologie qui n’a pas peur du développement, qui ne regarde pas la science, le progrès technologique, l’industrie, avec méfiance, ou pire encore comme des ennemis. Je crois à une écologie qui crée de nouvelles filières. »
En disant cela nous ne pouvons ne pas penser à l’exploitation accrue de la nature, à la conquête des océans, à la vente d’armes « propres », aux aéroports « haute qualité environnementale » comme celui de Notre-Dame-des-Landes, à la multiplication de voitures électriques, au déploiement de milliers de bornes de recharge sur les parkings, à l’emprise croissante des réseaux numériques sur nos vies…
Cela fait plusieurs décennies que les réunions et les déclarations des Nations unies, les sommets de la Terre, les conventions, protocoles et autres chartes proclament la nécessité d’un développement « durable ». Pourtant, malgré la destruction accélérée de la nature, le développement économique reste érigé en objectif « fondamental » et « indispensable ». Rien ne doit le remettre en cause. Il faut simplement rendre la croissance éternelle compatible avec les limites physiques de la planète. Ce qui est impossible comme l’ont prouvé les dernières décennies. La croissance sobre, propre, neutre, gentille, est une complète mystification.
Les bonimenteurs qui nous servent de gouvernants et de décideurs savent pourtant que pour contenir le réchauffement qu’il ne suffira pas d’apposer une pastille verte sur une machine, de visser des ampoules économes, de fluidifier le trafic urbain grâce à des applications pour smartphones, d’installer des voitures et électriques en libre-service, d’optimiser sa climatisation ou de mieux trier ses déchets.
Les bonimenteurs qui nous servent de gouvernants et de décideurs savent que,sans une remise en cause radicale de l’économie, des rapports sociaux, de la production, de la consommation, du commerce, des modes de vie, des transports, des échanges, de l’organisation de nos sociétés, des systèmes techniques, nous courons à l’échec. Ces hypocrites savent que toute sauvegarde de la création est subversive et donc forcément anti-productiviste. C’est pourquoi ils n’en veulent pas.
Il n’y a donc rien à attendre de la COP21.
Comme toutes les précédentes « messes » sur le climat, on y dira que l’heure est grave, que l’année 2015 a encore battu un record de température, que la maison planète brûle…. Comme en 2009, à Copenhague, les quelques manifestants, moins dupes et crédules que leurs représentants, qui manifesteront pour « changer le système pas le climat » seront étouffés à bonne distance. Et comme d’habitude, cette conférence se conclura sur une nouvelle déclaration qui niera l’évidence et s’entêtera dans cette contradiction inextricable : croître le marché tout en faisant décroître notre empreinte écologique.
Convenons que pour ces bonimenteurs le maintien de la vie sur Terre n’est en rien une priorité. Il nous faut en prendre acte : la destruction des écosystèmes est acceptée, prévue, devenue notre horizon officiel. Nous n’avons aucun espoir à placer dans les orientations mortifère qui seront prises en décembre. Car il n’y aura pas de préservation de la planète tant que nous ne reconnaîtrons pas que la sauvegarde de la Création est inconciliable avec les impératifs de l’économie, et tant que nous n’opterons pas pour une autre manière de vivre radicalement.
Récemment le Pape François a écrit « La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une basse intensité de vie mais tout le contraire. » Ces mots font résonner ceux de Jacques Ellul et Bernard Charbonneau lorsqu’ils écrivaient il y a plus de 80 ans : « Les hommes doivent se libérer de l’emprise économique et culturelle de l’Etat et du marché, se défaire du besoin fabriqué. Ils doivent, au sein de structures conviviales, en mettant en œuvre des techniques à échelle humaine retrouver la faculté de décider, ensemble et de manière autonome les modes de satisfaction et le sens de leurs besoins, et recouvrer en même temps les moyens politiques de préserver leur choix. Faire le choix de l’austérité volontaire c’est s’engager un double processus, de rupture avec la civilisation industrielle et de construction de la société écologique future ».
Si nous n’entendons pas cela alors, n’en déplaise aux hypocrites, dans très peu de temps, les « hommes chercheront la mort et ils ne la trouveront plus… Ils désireront mourir mais la mort fuira loin d’eux » (Ap 9,6)
Pasteur Jean-Paul Nunez