Au fond, l’histoire de Noël, n’est qu’une histoire quotidienne, toute grise... Sans aucune raison de fêter quoi que ce soit si l’on pense à tous les peuples en souffrance, à tous ceux qui n’ont pas le droit d’avoir des droits, à tous ceux qui ne sont que des « sans » droits, toits, papiers... Cette histoire de Noël nous présente, sans illusion, comment les hommes, qui sont tous dans la même condition, dans la même « damnation » pourrait-on dire, se comportent les uns envers les autres. Voilà que tous ceux qui ont un toit, une maison, un pays, une nation, une communauté, une église, tous ceux qui sont ou qui ont trouvé à se « loger » agréablement, ne pensent pas du tout à ménager une place à une pauvre mère et à son nourrisson qui a besoin d’aide. Cela éclaire de manière simple et impitoyable comment les choses se passent tous les jours dans le monde. La coexistence humaine est finalement toujours déterminée par ceux qui, sans ménagements, se soucient simplement de leur propre moi. Résultat du fétichisme idolâtre de l’argent qui dispose du pouvoir aberrant de tirer un profit immense, immédiat et éphémère de l’inutilité et surtout d’une vie mercantile et sans usage. Devant nos yeux, toutes ces crèches illuminées nous disent bien les choses. L’étable qui servait de lieu d’accouchement, la paille qui servait de lit, la mangeoire à fourrage qui servait de berceau, sont une image de la pauvreté et de la misère, à côté de laquelle nous pourrions dresser mille autres représentations semblables du désespoir et de l’affliction, et donc tout autre chose qu’une idylle, en quoi s’est transformée faussement pour nous la scène de la naissance de Jésus. Cela ne nous troublera absolument pas pour nous réjouir dans des maisons confortables, bien chauffées, derrière des doubles et même des triples vitrages, jouissant de mets et de boissons particulièrement bons, dans la lumière festive des bougies. En nous faisant des cadeaux fastueux les uns aux autres. Et, en nous réjouissant des dons terrestres, nous oublierons, l’état du monde et nous nous permettrons en quelque sorte, pour quelques heures, de vivre dans un monde féérique, beau comme un « paradis ». D’une manière souvent, à proprement parler, inconvenante. N’en déplaise. Dépouiller toute poésie à l’histoire de Noël, c’est au moins pouvoir penser et dire à tous ceux, individus ou peuples, dont la douleur et la détresse troublent la fête de Noël qu’ils sont beaucoup plus proches de cette histoire que tous ceux qui ne sont pas dans cet état.
Pourtant, devant cette réalité, nous, les passeurs de fables que nous sommes et auxquelles nous croyons, nous nous sentons le droit de croire que l’essentiel est que, là, au milieu de la nuit, le ciel descend sur la terre, que l’éclat de sa magnificence éclaire les ténèbres et que les porteurs de messages, ceux qu’on appellent les anges, chantent la joie et la paix. Et c’est bien parce que cela est si fabuleusement extraordinaire, que nous avons fait de cette Nuit particulière une si belle fête. Pour nous réjouir et nous laisser réjouir en étant aimable et en paix les uns avec les autres. Non pas pour dire et raconter qu’un grandiose spectacle serait apparu dans l’étable, au-dessus de la mangeoire de l’enfant et que subitement ce lieu symbole du dénuement humain aurait été transformé en un lieu acceptable. Mais pour parler de l’essentiel de l’histoire de Noël qui est bien l’apparition des porteurs de messages. Car sans eux, personne, après tout, n’aurait su ce qui s’était passé dans cette fabuleuse Nuit. Et l ’essentiel est bien dans leur message lui même. Un message dont l’éclat de nos fêtes de Noël nous fait si facilement oublier le caractère essentiel ou, ce qui est beaucoup plus grave, que nous comprenons faussement : « N’ayez pas peur ! Voici, je vous annonce une grande joie qui se manifestera à tout le peuple, car aujourd’hui dans la ville de David, il nous est né un Sauveur.. »(Luc 2,10). Message simple qui laisse tout un chacun trouver la présence du Vivant là où l’œil et l’intelligence ne voient qu’abaissement et misère humaine. C’est cette parole qui suscite la parole chez les réduits au mutisme, qui met debout les paralysés, qui met en commun les mis à part, qui suscite l’élan, le mouvement, l’avènement de la vie consciente chez les inertes, la santé débordante, foisonnante, chez les malades, et bien sûr la vie chez les morts. A la lumière de cette parole, d’un seul coup, étable et mangeoire, et donc toute la misère de tous les peuples en souffrance, de tous ceux qui n’ont pas le droit d’avoir des droits, de tous ceux qui ne sont que des « sans » droits, toits, papiers, toute la détresse de chacune de nos vies vie prennent une autre dimension, reçoivent un tout autre visage. A travers le visage du Petit de l’Homme, du visage de l’Utopie Réalisée donc réalisable par tous les humains, par tous les peuples et tous les vivants et tous les morts. A travers le visage du ferment de dévalorisation de toutes les barrières, de toutes les inégalités, de toutes les frontières, de tous les privilèges. A travers le visage de l’Eveilleur du Soulèvement universel de toute l’humanité en chacune de ses personnes. A travers le visage du Verbe déchainé en personne qui fera que, à travers sa Parole, réalisatrice du geste qu’elle prononce, tout les verbiages des puissants seront pulvérisés...
S’il y a une heureuse nouvelle, une bonne annonce, une donnée toute neuve, elle est dans ce message qui proclame aux pauvres rassemblés du fond de tous les siècles, au peuple mondial et universel des pauvres, que l’Autrement Être vient inexorablement. S’il y a une joie qui doit se traduire par une puissance d’agir c’est bien celle de ce Verbe Contagieux devenu, certes dans cette pauvre étable mais néanmoins fabuleuse Nuit, un être humain comme nous, afin que nous devenions ce qu’il est : les enfants de l’Infini Vivant, remplis de paix et de joie à de plus jamais avoir peur.
Bonne fête de Noël !
Jean-Paul NUÑEZ 23 décembre 2010